Littérature louisianaise:
Essais poétiques par Mme Emilie Evershed

mardi 7 février 1843; vol. 36, no. 8,175


     Au milieu des préoccupations de nos jours, si pleins d'amères difficultés, pourquoi trouvons-nous si peu d'allègemens aux lassitudes quotidiennes? Pourquoi ces visages toujours tristes, à l'expression inquiète? Pourquoi ce recueillement monacal? A nous voir si gravement préoccupés on nous prendrait volontiers pour ces anciens frères de la Trappe, ces princes de la Monotonie, qui se saluaient en disant: Frères, il faut mourir… Aussi l'étranger, qui vient parmi nous, bien qu'il soit tout d'abord ébloui par la beauté de notre ville, par la magnificence de nos édifices, éprouve-t-il bientôt un serrement de coeur profond! Ah! c'est qu'il faut à l'homme autre chose que cette pompe de la vie maternelle. Nous ressentons un malaise indéfinissable et nous le communiquons à l'e'tour: c'est que le bruit des piastres remplit l'oreille, mais laisse le coeur vide; nous souffrons: c'est que pour nous le ciel semble n'avoir pas sa robe d'azur, les fleurs leur doux parfum; c'est que la poésie, cette grande consolatrice des âmes, semble avoir été bannie de nos froides demeures. Pour nous, le poète qui chante n'est plus le roi de la création, disant en cadences mesurées les harmonies du Grand Etre. Non! ses mélodies s'envolent et ne laissent pas de trace, sa voix n'a pas d'écho… Dis-nous donc, oh! Louisiane, pourquoi tes filles sont si belles, ton soleil si limpide, tes nuits couronnées d'un si brillant écrein, puisque la main ne s'ouvre pas à la main du poëte, puisque ton oreille est sourde à sa voix. La beauté n'est-elle plus la mère de la poésie! Oh! Louisiane, veux-tu, moins heureuse que Sion, veux-tu n'avoir pas même un vieux barde pour chanter un jour dans la voix de tes pères, à l'ombre du sycamore, sur Babylone détruite! Que fais-tu de tes poëtes, oh Louisiane! tes filles ont-elles été moins fécondes que tes champs fertiles? As-tu donc été si marâtre que tes filles n'ayent pu donner un poëte au jour? Roquette [sic], Latille [sic], Canonge n'ont-ils pas eu pour toi des voix assez sonores. Hier encore, de Las Deûmès fesait retentir tes rues de sa lyre vibrante. Les noms de tes poëtes ont traversé les mers; à Paris on les nomme et tu ne le sais pas, oh! Louisiane, que tes poëtes ont chanté. Ah! c'est que tu t'es enveloppée dans un manteau d'or, comme la courtisane oublieuse. Ton Dieu, c'est le Dieu des Juids; tu sacrifie à Baal, tu adores le veau d'or, et la voix de tes poëtes, comme la voix de Moïse, ce grand poëte du Sinaï, est sans écho. Louisiane! il est une vieille légende du beau pays d'Ecosse qui nous apprend qu'à la naissance d'un poëte les anges donnent une fête à Dieu. Un nouveau poëte, ô Louisiane, apparaît parmi tes enfans: salue sa bienvenue. Essais poétiques, par Madame Emilie Evershed, tel est le titre d'un magnifique volume édité à Paris, par Hector Bossange, au millésime de 1843; comme vous voyez, c'est du fruit nouveau et du fruit fort beau, je vous le jure.
     Le volume s'ouvre par un poëme ayant titre "UNE FAUTE." C'est un drame du coeur; la jeune Néïda embellit le toit solitaire d'un vieillard vénérable, elle est l'amour de son vieux père et l'ornement de la paisible retraite, elle était belle, elle avait quinze ans,

Elle ignorait son coeur et n'aimait rien encore,
Rien, son père excepté, car ce père adoré,
Après Dieu sur la terre était seul révéré.
Hélas! ce bonheur intime ne peuvait durer toujours:
La douce jeune fille, au coeur pur et candide,
Croyait qu'un beau seigneur n'était jamais perfide.

      Voilà j'espère un joli vers… Mais je dois m'arrêter, narrateur indiscret, je ne dirai point le secret de ce drame, il faut lire le poème, ma prose nuirait au poète, j'ajouterai seulement que ce petit drame, dans lequel la simplicité du coeur est en opposition avec le vice et le luxe d'un grand seigneur, est semé de pensée et de vers superbes, une touche habile nuance habilement la simplicité des moeurs du village avec les femmes aristocratiques du château, le couleur est toujours ce qu'elle doit être, diaphane ou fortement trempée, Néïda est pleine de simplicité, tout pudibonde:

…Sa pudeur de femme, un instant alarmée,
Faisait rougir son front, en se voyant aimée.

     Le dialogue est magnifique, voici comme le père de Néïda s'exprime:

…Je suis de Néïda
Le père infortuné, etc.

     Le héros du drame répond:

J'offre pour cette faute, en réparation,
Ma fortune, mes biens, tout… excepté mon nom.


     La réplique du vieillard est sublime:

Gardez tout, mon seigneur! cette offre est inouïe,
Vous nous jettez l'offense avec l'ignominie.
Ah! j'avais mieux pensé, mieux auguré des grands;
Mais les grands, sans pitié, souillent les cheveux blancs.

     Cela est beau comme Corneille.
     La verve du poète de se dément point, elle le conduit jusqu'au terme de l'oeuvre, et toujours avec succès.
     Je n'analyserai pas le second poème, intitulé: LA CHATEAU DESERT, le noeud principal de l'action est un de ces faits à coup de théâtre qu'il ne faut point annoncer, il convient de laisser au lecteur le plaisir de la surprise. Cette composition n'est pas d'un mérite inférieur à la première, l'élégance, la force de l'auteur est toujours la même, toutefois il me semble que la catastrophe du dernier chant aurait pu être plus dramatique en s'appésantissant davantage sur la scène de l'oratoire, quelle situation en effet que celle de cette femme vis à vis le tombeau qui renferme son amant en vie, de cette femme qui entend le râle de l'amant se mêler aux rires jaloux du mari vengé. Certes c'est là le drame dans toute sa furie. Si Mme Evershed n'a peut-être pas atteint toute l'élévation scénique du sujet, elle a fait néanmoins une oeuvre d'un mérite incontestable.
     Il y a d'ailleurs dans ces deux poëmes une qualité bien réelle, c'est la pureté du langage, la richesse de la rime, la sévérité de la pensée. L'auteur par le soin qu'il a donné à ce que j'appellerai leur toilette, semble avoir pour eux une prédilection particulière, ce sont des enfans gâtés, aussi je crains de lui déplaire en disant qu'à mon compte le beau côté du volume c'est cette seconde partie où je trouve agglomérée des poésies d'une sensibilité si exquise, si pleine de suavité, poèmes groupés sous le titre de Poésies diverses. Je vais m'expliquer, et pour emprunter ma comparaison au sexe du poète, je dis que la première partie ressemble à une belle femme parée pour le bal, rien ne manque à sa toilette, le miroir a corrigé tout ce qui pouvait manquer à l'harmonie de l'ensemble, elle est parée.
     La 2de partie est l'image d'une femme pleine de grâce, assise en un salon, sans souci d'une boucle de cheveux, plus ou moins arrêtée aux réseaux de sa chevelure, son sourire vole sur ses lèvres et elle est certaine qu'aucune interprétation maligne ne salira l'expression de ses yeux; la première pose en public, la seconde badine avec grâce dans un cercle ami. Aussi, dans cette 2de partie, parfois le mètre ne sera-t-il pas aussi sévère, la rime toujorus bonne ne sera pas aussi riche; mais le sentiment s'y trouve dans ce qu'il a de plus doux, la sensibilité la plus exquise échappe du coeur du poète comme d'une source féconde, et à côté d'une molle pensée de femme, l'esprit est frappé de rencontrer des vers comme celui que je vais citer. L'auteur s'adresse à l'Amitié, lui dit que partout où elle peut pénétrer, les maux disparaissent, puis s'écrie:

Et nous craignons l'Enfer car tu n'y peux entrer.

     Ce sont de ces cris qui étourdissent, c'est la voix du poète qui tourne.
     Les pièces intitulées: le Bouquet, l'Isolement, Elégie, Tristesse, sont des chefs-d'oeuvre de goût, d'amour, de poésie intime; je ne puis rien citer, citer une oeuvre d'âme c'est la morteler, ou dissénuer un cadavre, on savoure le parfum d'une fleur.
     J'ai mentionné des pièces écrites avec le coeur, je vais en dire où l'esprit le plus exquis domine: il y a de la satire, mais de la satire de grandes dames, c'est à la Brinvilliers, on est mort sans poignard, sans balle, la main blanche d'un page vous présente un billet, vous coupez les rosettes qui le caehête [?], un narcotique s'en exhale et vous tombez mort. Hommes de 50 ans, demandez à la pièce des Caniques [titre d'une originalité locale qui vaut un long poème, dirait le froid copiste d'Horace, demandez, dis-je, à la pièce des Caniques, le secret des dames à votre endroit, et vous connaîtrez ce secret plein de charme. —Le RIDEAU, les LUNETTES, les BONNETS DE NUIT, sont des poësies qui scintillent de cet esprit à l'ARISTOPHANE si rare, pour ne pas dire perdu de nos jours. Je ne puis citer, il faudrait copier le volume, et je m'aperçois que je commence à être bien long; aussi vais-je terminer, heureux toutefois d'avoir abandonné pour une heure les tristes études de nos Digestes; j'ai rafraîchi ma pensée aux brises si douces de votre poésie, madame, permettez-moi de m'adresser à vous, j'espère que le vieux COURRIER traversera la rue du Canal et vous dira combien grand a été mon plaisir en parcourant vos oeuvres; elles font honneur au pays que vous habitez; vous devez, il est vrai, être reconnaissant à notre belle Louisiane qui vous inspire si bien; puissent aussi ces jolies créoles, que vous chantez dans la Sylphide, rencontrer votre livre; elles y trouveront des pensées qui endorment la douleur; puissent ceux qui comprennent notre belle langue, si magique aux accents de votre muse, le rencontrer aussi; ils oublieront les soucis dujour pour se bercer à l'harmonie de vos chants gracieux.

FELIX DE COURMONT


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