Au Père Chocarne

Pierre L’Hermite 


Mon Très Révérend Père,
Un nègre obscur et méprisé,
Écoutait enivré, la semaine dernière,
Votre verbe irisé.

 Il sentait dans son être,
Entrer comme un éclair de foi:
Il allait rejeter son consolant « Peut-être »
Et rembrasser la croix;

 Mais cet homme, ce nègre, ô Révérend Père,
Tandis qu’il se laissait emporter, éperdu,
Au tumulte pompeux de votre accent austère,
Détacha ses regards et son cœur de la chaire,
Et le suprême appel qu’il avait entendu,
Comme un soupir divin, adresser à son âme,
Ne fut bientôt qu’une mourante flamme,
Qu’un fugitif souvenir
Que la réalité fit vite évanouir;
Car il se rappela que, même dans cette église,
Les apôtres du Christ souffrent que l’on méprise
Que l’on relègue, en certains bancs,
Non pas de grands pêcheurs, non pas d’impurs tyrans,
Mais bien de pauvres gens
Dont le seul tort, dont le seul crime,
Est d’avoir
Le teint noir.

 Vous allez donc tonner contre cette injustice:
Du temple Jésus-Christ sut chasser les marchands,
À votre tour, chassez-en les méchants,
Et ne paraissez pas en être complice.
En pensant au poète obscur et méprisé
Que captiva votre verbe irisé,
Vous leur direz ô très Révérend Père,
Qu’un blanc, qui ne veut pas qu’un nègre soit son frère,
N’a plus le droit sacré d’appeler Dieu son père.

 (mardi, le 16 avril 1867)

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