Poésies d’Adolphe Duhart 


Le Chien et le chat

Lélia Duhart

Connaissez-vous Pataud? C’est un petit chien noir; 
Il a pour compagnon Raton, un chat de race, 
—Un bel angora blanc;—mais entre eux point de trace 
De mauvais procédés, que c’est plaisir à voir! 

 Pataud folâtre avec Raton en frère,
Sans mordre, sans gronder, comme font les moutons;
Mais Raton fait tout le contraire,
Les chats, nous a-t-on dit, sont traîtres et félons— 
Raton,—et ce n’est pas friction de la lyre,—
Raton, bien qu’il jurât toujours
De faire patte de velours,
Le griffait bel et bien!—« C’est histoire de rire »,
Dirait-il à Pataud prêt à se lâcher:
« Ne sais-tu pas quand on badine,
« On ne doit point faire la mine?
« D’ailleurs n’avons-nous pas—pourquoi donc le cacher—
« Les mêmes intérêts et la même existence?
« Ne suis-je pas ton frère et ton ami »?
—Tout beau. Raton! Un peu moins de jactance!
Prends le nom qui convient, ne sois rien à demi;
Crois-moi, j’aime bien mieux un loyal ennemi
Qu’un frère qui trahit dans l’ombre et le silence.

(Lélia Duhart est le nom de plume d’Adolphe Duhart )
dimanche, le 26 mars 1865

 À une enfant

(Lélia D…t)

Tu me demandes, chère enfant,
Gracieuse et chaste Créole,
Un accord de ma lyre, un chant—
Qu’emportera trop tôt Éole.—

Mais si facile est ton bonheur,
Bonheur de joie et de lumière
Et si doux est ton petit cœur:
Comment repousser ta prière?

Ne te hâte point de jouir,
Enfant, la vie est bien amère
Et ne peut longtemps éblouir,
Tant le bonheur est éphémère.

Hélas! sur les ailes du Temps
Trop vite viennent les alarmes.
Chante encore, jouis du printemps;
Laisse pour nous les tristes larmes 

Oh! laisse pour nous les regrets;
Garde encore ton insouciance,
Les petits jeux, naïfs secrets
De ta douce et pure innocence.

Ah! que toujours dans tes beaux yeux,
On lise la suave ivresse;
Que ton âme, miroir des cieux,
Ne réfléchisse la tristesse.

Ma lyre, à ta prière, enfant
Gracieuse et chaste Créole,
Évoque du bonheur un chant 
Que ne puisse emporter Éole. 

(dimanche, le 21 janvier 1866)

Mon Trésor
Canzone à Mlle L. A…y.

(Lélia D….t.)

Si j’étais Dieu, tu verrais sous ta loi
Trembler le monde et les séraphins mêmes,
Et de l’enfer tu détruiras l’effroi.
Oui, tu serais seule arbitre suprême!…
Si j’étais Dieu, le ciel serait à toi!

Si j’étais roi, mes vassaux à genoux
T’adoreraient, ô gracieuse reine!
Et béniraient ton nom suave et doux.
Si j’étais roi, ma belle souveraine,
Dieu, dans son ciel, de toi serait jaloux!

Mais je ne suis, hélas! ni Dieu, ni roi,
Et je n’ai point de pouvoir ni couronne;
Et pourtant j’ai, dans mon cœur plein d’émoi,
Un doux trésor…eh bien! je te le donne:
Ce doux trésor, c’est mon amour pour toi!

(dimanche, le 3 juin 1866) 


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