Les
Impériales
par
A.
Lussan
Nouvelle-Orléans,
Imprimé par Gaux et
Cie.,
Rue de Chartres, No.
106, entre Conti et St.-Louis
1841
Un mot
Puissent
mes souscripteurs créoles trouver dans ces chants le désir
de reconnaître la généreuse hospitalité qu’ils
m’ont accordée. Puissent mes compatriotes y rencontrer
quelques-unes de ces inspirations qui font rêver à la patrie
absente.
À tous mes remerciemens
pour l’appui qu’ils ont daigné prêter à cette publication.
A.
Lussan.
Nouvelle-Orléans,
27 février 1841
Nouvelle-Orléans,
27 février 1841
Je lègue l’opprobre
de ma mort à la maison régnante d’Angleterre.
Napoléon.
Le voilà dans nos
murs, on a daigné le rendre !
Était-ce donc ainsi
qu’il faillait l’allait prendre ?
Non ! C’était
et la flamme et le fer à la main
Qu’il fallait jusqu’à
lui se frayer un chemin ;
Promener son cercueil sur
l’Europe insolente,
Montrer à la France
armée et debout sous la tente,
Le faire trôner mort
dans Vienne, dans Berlin,
Dans le vieux Westminster,
dans le nouveau Kremlin ;
Offrir pour hécatombe
à ce dieu des batailles,
Dans de funèbres jeux,
cent mille funérailles !
Puis, comme après
le char des empereurs romains
Venaient les rois vaincus,
sceptre et chaînes aux mains,
De l’infâme lien qui
souilla la colonne1,
Faire un honteux carcan aux
porteurs de couronne ;
Devant le grand cercueil
les jeter à genoux
Effarés et criant :
Sire, pardonnez-nous !
Et n’est-ce pas ainsi, le
front dans la poussière,
Pâles, n’osant fixer
le maître redouté,
Qu’ils imploraient de lui,
pour aumône dernière,
De leurs états conquis
la vice-royauté ?
Puis venaient les sermens,
l’adulation basse,
Les cris et les transports
au sublime pardon ;
Dévoûment de
la peur que Sainte-Hélène efface !...
Oh ! que n’a-t-il broyé
vos têtes du talon !
Sans doute il le devait,
car vous fûtes des traîtres ;
Car vous n’étiez plus
rois, vous étiez ses sujets.
Aux superbes cités
où vous siégiez en maîtres,
Vous étiez devenus
gardiens de ses palais.
Alors qu’il lui plaisait
de visiter l’Empire,
Vous n’étiez même
pas de l’escorte d’honneur ;
Et quand il paraissait il
vous restait à dire,
La chaîne d’or au cou :
l’Empereur ! l’Empéreur2 !
S’il vous venait parfois
un éclair de courage,
Quand s’éteignait
au loin le bruit sourd de ses pas,
Tremblant au souvenir de
cette grande image,
Vous ne vous releviez que
pour tomber plus bas.
Osez nier un fait que l’histoire
consacre
Et vous jette à la
face avec un rire amer :
Ses combats contre vous n’étaient
qu’un simulacre
Où souvent la cravache
a remplacé le fer3 !
Comme il vous méprisait,
tiges dégénérées
De Pierre ! de Hapsbourg !
de Frédéric-le-Grand !
À son char triomphal
par la crainte enchaînées,
Ayant tout oublié !
tout, jusqu’à votre rang !
Recevant, sans comprendre,
une leçon antique,
Dans la ville d’Erfurt, au
temple des beaux-arts,
Où douze conjurés
sauvaient la république,
Frappant César au
cœur, vers les ides de mars4.
Une victoire ouvrait, fermait
une campagne ;
Mais c’était Austerlitz,
Friedland, Elchingin !
Laissant ses vice-rois trôner
en Allemagne,
Portant à sa colonne
une charge d’airain,
Il tournait vers Paris, vrai
centre de la terre,
Son vol impétueux.
Fier du noble fardeau,
Le monde que penchait son
chariot de guerre,
Quand il avait passé,
reprenait son niveau !
Il est mort ! il est
mort ! la paix vous environne ;
Vous goûtez un repos
que nul bruit n’interrompt ;
Pourquoi donc si souvent
toucher votre couronne,
Joyeux de la sentir encore
à votre front ?
C’est que vous pressentez
que peu de temps vous reste,
Du monde de César
faibles dominateurs !
Que de Paris le cri solennel
vous atteste
Que le héros martyr
a trouvé des vengeurs !
Enfin, nous avons tout de
sa grande épopée :
Notre amour, nos regrets,
sa cendre, son épée,
Le soldat mutilé qui
veillait son tombeau,
Le nom de cent combats, gloire
de quinze années,
Souvenir importun à
nos mains enchaînées ;
Puis le vieil étendard
pris à Fontainebleau.
Puis, autre chose encor :
dans le cœur une haine
Qui demande avec rage une
sanglante arène !
Et qui l’aura !... Germains,
Russes, Prussiens, Anglais,
Ayons donc une fois la même
sympathie :
Terminer, sans merci, la
dernière partie...
Venez... quatre contre un...
venez, nous sommes prêts !
Angleterre ! à
nous deux la lutte d’un autre âge,
Où sous le bras de
Rome agonisait Carthage ;
Car notre haine aussi vint
à nos premiers jours !
Huit siècles nos combats
ont ébranlé la terre,
Sa voix rejette enfin la
France ou l’Angleterre :
Que l’une disparaisse, et
tout reprend son cours !
1 La statue de
l’Empereur fut descendue avec une corde au cou.
2 Les huissiers
de la chambre de l’Empereur portaient une chaîne d’or au cou.
3 Dans plusieurs
circonstances, Murat chargea les Cosaques, une cravache à la
main.
4 À la convention
d’Erfurt, l’Empereur fit représenter La Mort de César
devant les souverains assemblés : « Venez à Erfort,
Talma, je vous ferai jouer devant un parterre de rois. »
Un combat en Afrique
On doute
La nuit...
J’écoute :
Tout fuit,
Tout passe ;
L’espace
Efface
Le bruit.
Les Djinns, Victor
Hugo.
Alarmes,
Combats,
Aux armes
Soldats ;
La plaine
Prochaine
Est pleine
De pas.
L’Africaine
Vient des monts,
Hors d’haleine
Et par bonds,
Et voilée,
Passe ailée
La vallée
Des Dix-Ponts.
Allah, regarde,
Bénis nos rangs !
Une embuscade
Aux soldats francs !
Roi des prophètes,
Que mille têtes
Ornent les fêtes
Des Atagans.
Prière frivole,
Au temple odieux,
Allah ton idole
Est sourd à tes vœux.
Quand mugit l’orage,
Que vient le carnage,
Patrie et courage
Voilà les vrais dieux !
Mon valeureux Zouave,
Au large et vert turban1,
Calme et sans crainte brave
Les flots et l’ouragan.
Son arme meurtrière
Sait, dans sa main guerrière,
Aux combats la première
Se baigner dans le sang.
L’Arabe, enfant de la tente,
Naguère vint dans
ce lieu
Prendre sa moisson sanglante,
Zouave, et voici ton vœu :
Pour le combat qui s’apprête
Que chacun de nous répète :
Frères, à la
baïonnette !
Rien que du fer, point de
feu !
Quel bruit étrange !
est-ce la foudre ?
Vient-il des mers, des monts,
d’Alger,
Ou des canons noircis de
poudre,
Ou bien encor de l’étranger ?
Nul bruit dans les cieux
ne s’élève !
À ses clameurs l’Atlas
fait trêve !
La grande mer dort sur la
grève !
Ah ! les Zouaves vont
charger !
Ils sont lancés, vainement
la mitraille,
Sur le terrain qu’ils ont
à parcourir,
Fait dans leurs rangs une
profonde entaille,
C’est l’arme au bras qu’ils
vont vaincre ou mourir.
Croisez le fer !...
Plus que l’éclair rapides,
Corps contre corps, ils joignent
les Numides ;
Un dernier coup ! allons,
mes intrépides,
Et votre nom ne pourra plus
périr.
Ainsi, le tourbillon de neige,
Par les noirs aquilons poussé,
Roule des cieux aux monts
où siège
Le sombre hiver, rude et
glacé :
Bouffarick aux vertes pelouses,
Au Marabout des trois épouses,
Voit tournoyer les blancs
Bournouses,
Et fuir l’Arabe, au loin
chassé.
L’effroi double sa vitesse,
Et pour franchir le torrent,
Du coursier que son pied
presse
L’écume argente le
flanc :
Il sourit, rêve sa
tente,
Flatte sa cavale ardente,
Touche au torrent qui serpente,
S’élance !...
et tombe sanglant.
Dans l’immense carrière,
L’ombre qui règne
aux cieux,
L’espace, la poussière,
Dérobant à
nos yeux
La poursuite animée
Les débris d’une armée,
Dont la terre est semée
Et les coups glorieux.
Perdus dans l’espace,
Bientôt des chevaux
Le galop s’efface.
Du pied des coteaux
Le clairon rappelle,
Et sa voix fidèle
Aux fanfares, mêle :
Rallie aux drapeaux !
Vent qui balance
Les frais lotos,
Souffles silence,
Silence échos,
Lyre d’histoire,
Ton chant de gloire
Fait la victoire
Et les héros.
Gloire, fêtes
Aux guerriers,
Qu’à leurs têtes,
Aux cimiers
Clairs, sans tache,
On attache
Un panache
De lauriers.
Zouave,
Ton cœur
Qui brave
La peur,
Est digne
Du signe
Insigne
D’honneur !
1 Corps de l’armée d’Afrique habillé à
la Turque
À
la Nouvelle-Orléans
Et je te donnerai les trésors cachés et les richesses
les plus secrètement gardées.
Essaïe.
À la Nouvelle-Orléans
Alors que surgissait au Golfe
Adriatique,
Le caducée en main,
la jeune république,
Venise aux pompeux monumens ;
Que, guidant sur les mers
ses Esclavons fidèles,
Le lion de Saint-Marc eut
reployé ses ailes
Sur les farouches Ottomans ;
À ses genoux courbant
leurs têtes,
Tous les peuples de l’univers,
Qu’elle conviait à
ses fêtes,
Disaient, unissant leurs
concerts :
Règne au sein des
trésors que ta splendeur étale,
Belle reine des eaux, Venise
sans rivale !
Puis germa le blason sous
le manteau ducal,
Puis l’aîné
de ses fils, Doge, Prince, Amiral,
Esclave couronné de
Venise jalouse,
Du haut du Bucentaure, étendant
sur la mer
Une palme changée
en un sceptre de fer,
La prenait pour épouse !
Puis les noirs gondoliers,
les lagunes, les plombs,
Et les bourreaux masqués,
en tortures fécondes,
Tout l’univers soumis que
la crainte gourmande ;
Quelque roi mendiant sa place
au livre d’or,
Et Venise disant, dans son
rapide essor :
C’est un roi, qu’il attende !
Son souvenir s’éteint,
ses monumens épars,
Sa splendeur, son pouvoir,
s’en vont de toutes parts :
Aux mains d’une cité,
comme elle enfant de l’onde,
Ont passé le commerce
et le sceptre du monde !
Ton nom ne peut ainsi périr,
Orléans !...
la magnificence
De ta virile adolescence
Fera rêver les peuples
à venir.
Qui sur la paix a fondé
sa puissance
Doit voir son nom toujours
grandir !
Et qu’importe qu’un jour,
au milieu des orages,
Sur l’élément
trompeur, si fécond en naufrages,
Un instant balancé,
Ton beau vaisseau mouillé
dans les eaux écumantes,
Enceint de tous côtés
par des roches bruyantes,
Sur son ancre ait chassé :
Se relevant plus fort, le
vent enfle sa voile,
Il traverse l’écueil,
guidé par son étoile ;
Le danger est passé !
Comment est-il
tombé ?
Mes amis, droit au
cœur.
Ney.
Comment est-il tombé ?
Vous qui fuyez la ville,
et sa joie et ses cris,
Tournez vos pas errans à
l’est de Paris,
Accompagnez ce char qui lentement
s’avance,
Morne, tendu de noir, vers
le champ du silence ;
Marchez, ne craignez pas
qu’il fausse son chemin,
Il le suivait hier, il le
suivra demain.
Chaque jour sa venue ouvre
et ferme la tombe ;
Tout ce qu’il traîne
ainsi pour disparaître y tombe !
Puis, quand il reprendra
son pas silencieux,
Oh ! ne le suivez plus,
restez seul en ces lieux.
Devant ces monumens que le
marbre décore
Ne vous arrêtez pas,
marchez, marchez encore ;
C’est là... Ce tombeau
garde un homme assassiné !
Découvrez votre front,
et lisez : Michel Ney !
Le soldat glorieux que tout
soldat envie,
Dont le martyre un jour couronnera
la vie !
En sursaut réveillés
aux cris de liberté,
Les rois prêtaient
l’oreille avec anxiété ;
Ils entendaient au loin gronder
la Marseillaise :
Terrible et premier mot des
révolutions,
Et qu’ensemble diront un
jour les nations...
Voici les rois... À
toi, République Française !
Pour elle, dans ces jours,
les périls étaient grands :
L’Étranger au-dehors,
les traîtres au-dedans,
C’est sans nulle merci que
la lutte s’apprête.
Eh bien ! pour châtier
les traîtres, l’étranger,
Il suffira d’un mot :
Enfans, face au danger !...
Et l’on verra surgir quelque
sublime tête !
La sienne apparaissait toujours
au premier rang ;
Tout combat réclamait
une part de son sang.
Autour de lui la mort ameutait
la bataille,
C’était comme un défi
consacré par tous deux ;
Sur lui seul des canons elle
croisait les feux...
Il demeurait debout, meurtri
par la mitraille.
Quand son glaive avait fait
de larges abattis,
À brassée il
prenait les drapeaux ennemis ;
Il voulait qu’Elchingen eût
un anniversaire !
Les Germains fuyaient-ils
mutilés et sanglans,
Il maîtrisait l’ardeur
de ses vieux régimens :
Laissons-les fuir ;
demain nous n’aurions rien à faire !
Demain voyait encor fuir
l’ennemi lassé ;
Il achevait le peu qu’il
en avait laissé !
Auréoles de gloire
il les a voulu toutes :
Soldat qu’improvisait le
chant national,
Combattant aux pieds nus,
puis prince, maréchal,
Avec ses cavaliers enlevant
les redoutes !
Sur les pas des consuls ou
ceux des empereurs,
Que du monde connu les Romains
soient vainqueurs,
Sont-ils moins des héros ?
Rome est-elle moins Rome ?
Ney, Lannes, Masséna,
trinité de guerriers,
Unissez sans rougir le blason
aux lauriers,
Car, pour vous y contraindre,
il fallut plus qu’un homme !
C’en est fait, l’aigle plane
au sommet des drapeaux !
Prenez rang, monseigneur,
parmi les maréchaux,
De l’Empire portez les illustres
entraves :
Ne prononcez jamais un mot
qui peut ternir,
Empereur ou proscrit, gardez
le souvenir
Qu’un jour il vous nomma :
Ney-le-Brave-des-Braves !
Semez, ô Maréchal !
la terreur sur vos pas,
Que votre nom rayonne à
travers cent combats,
Brûlez d’un noble feu
que nul renom n’apaise,
Du monde impérial
soyez l’un des grands chefs,
Qu’Elchingen, la Moscowa,
soient d’immortels reliefs !
Puis... mourez triste et
fier d’une balle française.
L’Histoire et la
Victoire
du 18 janvier 1815
Mes pareils à deux
fois ne se font pas connaître,
Et pour leur coup d’essai
veulent des coups de maître.
Corneille, Le
Cid.
Un temple antique—Un autel
d’airain sur lequel est placé un livre ouvert. L’Histoire dort
appuyée sur l’autel.
La Victoire.
Quand des
esprits pervers le concours formidable
Gravit incessamment au palais
de la fable,
Et vient diviniser au séjour
odieux
Tous les fléaux humains,
ou tyrans ou faux dieux ;
Ici nul desservant, pas même
quelque reste
Du beau feu de l’histoire
en son temple céleste.
Son autel méconnu,
de splendeur dépouillé,
Voit fumer tout l’encens
sur un autel souillé.
L’histoire, lasse enfin d’une
lutte éternelle,
S’endort sur ses débris !
réveillons l’immortelle !
(La touchant
légèrement).
L’Histoire
(rêvant).
Inutile retour, mon sévère
burin
Gravera vos forfaits sur
les tables d’airain,
Et Dieu les jugera :
vous m’avez profanée
Pour la fable menteuse et
d’oripeaux ornée,
Fuyez, ô corrupteurs !
craignez que mon courroux,
Semblable au feu du ciel,
ne descende sur vous,
Ne brise vos autels dressés
à l’infamie,
De l’austère vertu
méprisable ennemie ;
Et ne vous mette à
nu, pâles, terrifiés,
Près des grands hommes
nains par vous déifiés.
Hors du palais d’histoire,
engeance détestable,
Allez sacrifier à
Plutus, à la fable !
La Victoire.
Ma sœur !
L’Histoire
(s’éveillant).
Qui
trouble ainsi mon repos solennel ?
Quelqu’enfant de la terre !
La Victoire.
Une
fille du ciel !
L’Histoire.
Le Seigneur
soit loué, vierge, si ta parole
Par un noble récit
aujourd’hui me console
De leur coupable oubli !
La Victoire.
Ne
viens-je pas de Dieu ?
L’Histoire.
Tant d’autres
avant toi sont venus en ce lieu
Qui proclamaient aussi la
mission divine.
Touchais-je le feuillet où
ma main prédestine
À la gloire éternelle !
aussitôt arrêté
Mon burin s’abaissait devant
la vérité !
La vérité puissante
à qui l’auteur ne songe
Qu’en lisant au fronton de
son œuvre : mensonge !
Mensonge pour de l’or !
mensonge pour du sang !
Mensonge qui mendie une faveur,
un rang !—
Fait Scipion plus grand qu’Annibal
de Carthage,
Parallèle trompeur
qui vivra d’âge en âge ;—
Du Thrace Spartacus, d’un
bond brisant ses fers,
Puis à la liberté,
conviant l’univers,
Un bandit sans justice ;
—appelle grand, Pompée,
Et de Sertorius flétrit
la noble épée,—
Prête au sénat
romain la majesté des rois,
Pour dire ses vertus n’a
pas assez de voix ;—
D’un affreux proscripteur,
du triumvir Auguste
Fait un vainqueur clément,
un prince doux et juste ;—
Frappe du double nom de lâche,
d’apostat,
Julien, noble cœur qui mourut
en soldat ;—
Nomme Théodora, la
courtisane, sainte,
Oubliant les bûchers
où s’expiait la plainte ;—
Appelle bassement Code Justinien
Les immortels travaux du
grand Tribonien.
Au temps dont nous parlons,
temps d’erreur, temps coupable,
Des deux moitiés du
monde une adorait la fable,
Qui, pour ses sectateurs,
d’un ciseau déhonté
En argile sculptait de la
célébrité.
Eh bien ! c’est pis
encor dans le siècle où nous sommes,
Et trois, terme moyen, nous
donne deux grands hommes :
Sans moi, dit le premier,
que deviendrait l’état ?
Quel feu dans mes discours !
dans ma voix quel éclat !
De mon large cerveau la sublime
pensée
Pour tout régénérer
s’est soudain élancée.
Seule, elle fait fleurir
le règne de la loi ;
Le trône n’est qu’un
mot ! c’est moi qui suis le roi !
Je puis tout !—Halte
dit le second des célèbres :
Et pensée et discours
ne seraient que ténèbres
Sans mon journal, qui peut,
selon son bon vouloir,
Renverser, maintenir, à
son gré, le pouvoir !
Je puis donc hautement et
sans inconséquence,
Au monde, ainsi que vous,
dire mon importance.
Le troisième écoutait :
Et moi, que suis-je ? —Rien.
Ah ! si fait cependant,
vous êtes citoyen.
Vous pouvez à l’état,
dans une ardeur commune,
Quand il a nos talens, donner
votre fortune,
Vos fils, qui, devenus de
valeureux soldats,
Iront à notre voix
vaincre dans les combats.
Puis, quand nous monterons
au temple de mémoire,
Vous nous regarderez, c’est
votre part de gloire.
Et la fable écrivait,
proclamant vérités
Les impudens discours l’un
à l’autre ajoutés !
Pensive, j’écoutais
discourir le troisième.
Son bon sens me causait une
allégresse extrême ;
Le Peuple était son
non ; caustique, irrévérent,
Il siffla le pouvoir, siffla
son adhérent :
Pour avoir rédigé
quelqu’absurde grimoire
Vous vous proclamez grands !
ce n’est pas de l’histoire !
Ministre et journaliste,
impuissans sous l’affront,
Fuyaient les yeux baissés
et la rougeur au front !
Hélas ! depuis
longtemps, voilà l’unique joie
Mêlée à
la douleur où mon âme se noie !
La Victoire.
Console-toi,
ma sœur, car j’apporte en ces lieux
Pour ton livre divin un feuillet
glorieux :
Assise aux derniers rangs
de la troupe céleste,
À l’heure où
le Seigneur à nous se manifeste,
Son œil me découvrit
et sa voix m’appela,
Puis, du sein des éclairs,
voici comme il parla :
Au monde de Colomb est un
peuple que j’aime,
Il a crié vers moi
dans son péril extrême,
Et ses maux m’ont touché.
Ma force est avec lui ;
Que de sa liberté
l’heure sonne aujourd’hui.
Que l’oppresseur vaincu,
le front souillé de poudre,
S’humilie ! Et sa main
mit aux miennes sa foudre.
Va ! Je pris pour coursier
un rayon de soleil,
Puis, Orléans me vit
le huit, à son réveil !
Ce sol, que le Très-Haut
abritait de son aile,
L’Anglais le convoitait,
et sa voix criminelle,
Comme un défi, jetait
au Seigneur irrité
Cette horrible clameur :
« et pillage et beauté1. »
Le sang coule à grands
flots sur la brûlante arène ;
Qu’un des miens soit frappé,
son grand cœur l’y ramène.
Partout où le danger
fait appel à mon bras,
Ils y courent en foule et
joyeux sur mes pas.
La mort s’échappe
en vain de ces armes serviles,
Nous rendons coup pour coup,
ce sont nos Thermopyles ;
Il faut vaincre ou mourir.
L’Anglais est vingt contre un,
Qu’importe ! morts,
vainqueurs, notre sort est commun.
Écoutez : En
avant ! le mot d’ordre de France !
Aux coups qu’elle a portés
j’ai reconnu sa lance.
Oh ! naguère,
ma sœur, que ton rôle était beau :
Du faible partager la gloire
ou le tombeau !
Le feu cesse, et ma troupe
au carnage animée
Voit tomber à genou
devant elle une armée,
Qui, superbe, insolente,
en menaçant nos bords,
Implore maintenant un tombeau
pour ses morts...
Et pour elle un pardon !
Prends
tes habits de fête,
Orléans ! de
lauriers environne ta tête :
La liberté se lève
et promet tous ses biens
Aux lieux où nul n’est
roi, mais tous sont citoyens !
L’Histoire.
À
ces preux qui, sans crainte, au milieu des alarmes,
Pour châtier l’Anglais
improvisent des armes,
Déesse incorruptible,
auguste Vérité,
Que leur réserves-tu,
dis ?
Une Voix.
L’immortalité !
1 Mot d’ordre de
l’armée anglaise en 1815.
Au roi,
Sur la translation des cendres
de l’empereur.
Dors ! Nous t’irons
chercher ! — Un jour viendra peut-être !
Car nous t’avons pour dieu,
sans t’avoir eu pour maître ;
Car notre œil s’est mouillé
de ton destin fatal,
Et sous les trois couleurs,
comme sous l’oriflamme,
Nous ne nous pendons pas
à cette corde infâme
Qui t’arrache à
ton piédestal !
Poésies
Politiques.
Victor
Hugo.
Enfin !... Après
vingt ans de plaintes importunes,
De scandaleux débats,
où, du haut des tribunes,
L’oblique ordre du jour répudiait,
tremblant,
Les victoires, le nom, les
cendres du géant,
Le jour est donc venu !...
salut, Philippe-Auguste,
Salut, soldat sans peur,
salut, monarque juste :
À toi, qui, relevant
un culte respecté,
Lègues à nos
drapeaux cet honneur contesté
D’ombrager, épurés
dans la moderne Rome,
Les ossemens sacrés,
les armes du grand homme ;
Splendide complément
à l’acte souverain
Qui rendit sa statue à
son faîte d’airain.
À toi qui fis cela,
bonheur et longue vie !
Puisse, autour de ton trône,
éperdue et ravie,
La France réunie en
un même faisceau
N’avoir plus qu’un seul cri,
plus qu’un même drapeau !
Appui d’un grand revers,
ta loyale pensée
Vit contre elle s’armer une
crainte insensée :
Majesté, pour son
nom citoyens et soldats
Ont tous un dévoûment
que le temps n’éteint pas ;
Songez, après l’exil
dont il brisa la chaîne,
Quels transports saluaient
l’illustre capitaine.
Et craignez qu’aujourd’hui
son hostile cercueil
De nos prospérités
ne devienne l’écueil !
Tu disais, souriant à
cet horizon sombre :
Ce qui reste de lui n’est
pas même son ombre ;
Mais un grand souvenir, puissant
pour protéger
Un téméraire
espoir à la France étranger.
Laissez ! laissez !
Quel roi, pour dominer son âge,
Inscrira dans sa vie une
plus grande page !
Et, prophète inspiré,
ta magnanime main
De l’expiation nous ouvrit
le chemin !
Oh ! nous la lui devons
immense, solennelle,
Lui qui sentit un jour la
révolte infidèle
Surgir, et lâchement
le frapper dans le dos,
Pendant qu’il combattait
en tête des héros.
Certaine qu’elle était
que de la grande épée,
De soldats ennemis sans nombre
enveloppée,
Suffirait un éclair
qui sur eux aurait lui
Pour disperser les rois ameutés
contre lui ;
Que croulerait bientôt
l’alliance sublime
Au plus léger effort
de la France unanime,
Et qu’il fallait enfin...
honte sur leurs succès !
Pour immoler notre aigle,
un transfuge français.
Il s’en trouva ! plus
d’un, de qui la renommée
Suivait à vol égal
celle de notre armée ;
D’autres ! honte sur
tous !... Oh ! ne maudissons pas !
Car son pardon descend sur
ces fronts apostats :
Guerriers que l’étranger
vit naguère intrépides,
Honorés et loyaux,
puis bonaparticides,
Votre exil va cesser... Le
glorieux martyr
Vous convie au repos... et
vous pouvez mourir.
Et toi, par qui la France
en ce jour consolée
Voit briller dans son sein
le divin mausolée,
Héritier de César !
pour la guerre ou la paix
Signe : Philippe-Auguste,
empereur des Français ;
Change en un laurier d’or
ta couronne royale,
Le bleu manteau des rois
en pourpre impériale.
L’Europe nous insulte !
oh ! ne le souffre pas ;
Prends ton clairon de guerre
et sonne les combats ;
Souviens-toi de Valmy, souviens-toi
de Jemmapes,
Et que nous traversions le
monde en trois étapes !
Fais revivre ces temps !
Allons, allons, mon roi,
La guerre ! et le présent...
L’avenir est à toi !
Rien de grand sous les cieux
que ton front ne dépasse ;
Près de Napoléon
tu peux marquer ta place,
Et al Postérité,
sublimes compagnons,
Dans le même respect
unira vos deux noms !
Les Noms immortels
Alors des temps fameux levant
les voiles sombres,
Le voyageur sur Sparte évoquera
nos ombres,
Et, de Léonidas et
de ses compagnons,
Les échos n’auront
pas oublié les grands noms.
Pichat, Léonidas.
Empereur radieux ou proscrit,
sa parole
Au front de ses soldats attache
une auréole
Que les revers, la mort,
le temps ne peut ternir.
Eh ! qu’importe d’un
Scott la frauduleuse histoire,
En bronze il a moulé,
pour la honte ou la gloire,
Les noms qu’il livre
à l’avenir.
Enfant, Toulon l’a vu, chef
de l’artillerie,
Debout sur le revers de cette
batterie
Devenue à sa voix
le poste de l’honneur,
D’un glorieux renom à
tous ouvrir la route,
Car il avait écrit
au front de la redoute :
« Batterie aux hommes
sans peur ».
Apparaissez, parlez souvenirs
d’Italie,
Du mutisme des morts la gloire
vous délie !
Voulait-il enlever une position ?
Doutait-il du succès
au fort d’une action ?
Il disait : « En
avant, brave trente-deuxième ».
Qui fait dans la mêlée
un plus large abattis,
Pénètre plus
avant dans les rangs ennemis ?
C’est « l’Incomparable
neuvième. »
J’ai laissé de mon
sang sur le pont de Lodi,
À Lonato, Vérone,
Arcole, Rivoli ;
Par le fer déchirée,
aux douleurs insensible,
J’ai tant pris de drapeau,
j’ai tant semé de morts,
Quand la charge échappait
à nos clairons discords,
Qu’il m’a donné
nom « la Terrible1 ».
Joubert était tombé,
comme tombe un héros ;
Devant l’aigle des Czars
retraitaient nos drapeaux ;
Un jour de vingt combats
obscurcissaient la gloire ;
Zurich répare tout :
le sauvage du Nord
Dans ses steppes a fui le
bras puissant et fort
« Du Fils Chéri
de la Victoire2 ».
Vierge, dis-nous pourquoi
ces splendides honneurs,
Ce cortége imposant
des victoires tes sœurs ?
De Marengo je suis l’immortelle
journée,
Où d’un peuple en
ses mains prenant la destinée,
Où couvert des lauriers
qu’en Egypte il cueillit,
Il dit, illuminé d’un
rayon de génie :
Ici, se briseront les fils
de Germanie
« Sur la Redoute
de Granit ».
Victoire de Neubourg, d’où
vient que nos bannières
Mêlent ainsi le deuil
à leurs pompes guerrières ?
Nos soldats pleurent-ils
leur général vainqueur ?
De leurs rangs décimés
suis l’appel qui commence :
« Tour-d’Auvergne, Premier
Grenadier de la France ?
« Présent...
Mort sur le champ d’honneur ».
Soldats, quel régiment ?
—Quatre-vingt-quatrième,
Sire !... Un nuage alors
voila son front suprême ;
Une moitié manquait
à leurs rangs éclaircis.
Il murmura pensif :
Oui, quand l’honneur commande...
Puis, lui-même il grava
sur l’aigle une légende
Digne de Sparte :
« Un contre dix ».
Ouvrez le Panthéon,
glorieux et saint temple,
Au héros, de l’armée
et l’idole et l’exemple.
Oh ! sois maudit, Essling
et ton douteux succès.
Qu’importe que sa voix aujourd’hui
soit muette,
De ses enfans tombés
le peuple est l’interprète :
Ouvrez, c’est l’Achille
Français3.
Waterloo ! Waterloo,
de fatal mémoire,
Où la garde en mourant,
mais fidèle à sa gloire,
A légué le
secret d’un illustre trépas.
Anglais !!! laisse venir
le jour qu’on nous dénie,
Et nous verrons alors si
ton chant d’agonie
Vaudra : « Meurt
et ne se rend pas ».
Empereur radieux ou proscrit,
sa parole
Au front de ses soldats attache
une auréole
Que les revers, la mort,
le temps ne peut ternir.
Eh ! qu’importe d’un
Scott la frauduleuse histoire,
En bronze il a moulé,
pour la honte ou la gloire,
Les noms qu’il livre
à l’avenir.
1 La 57me
demi-brigade.
2 Masséna.
3 Lannes.
Les Trois Journées
du Grenadier de Sainte-Hélène
Quand le bateau à
vapeur fut amarré au quai, un homme en descendit ; alors
les généraux l’entourèrent et l’embrassèrent
avec des larmes et des sanglots... C’était le Grenadier de Ste.-Hélène.
Arrivée
des cendres de l’Empereur à Paris. Les Journaux.
Première
Journée.
Sire, quand
vous viviez pour l’exil ou l’empire,
Ce que ma bouche alors n’eût
pas osé vous dire,
Elle eût balbutié
tant j’avais de frayeur
Quand sur moi rayonnaient
les yeux de l’Empereur ;
Je le puis, aujourd’hui que
de l’Anglais la haine
A brisé de vos jours
la glorieuse chaîne ;
Que tous vos serviteurs s’en
retournent là-bas ;
Que vos regards éteints
ne me troubleront pas.
Sire, je dirai donc :
Une pompe suprême
Suit le néant royal
au seuil du tombeau même.
Comme au jour de son sacre
un roi porte à la main
Le sceptre que son fils réclamera
demain.
Le palais est désert ;
vers l’église, la foule
Sur les pas du convoi lentement
se déroule ;
Du mort, l’héritier
veut qu’on s’occupe aujourd’hui,
Certain que, tout fini, la
foule ira vers lui...
Peuple, seigneurs dorés,
appareil militaire
Regagnent le palais... L’église
est solitaire,
Nul n’y soulève un
bruit que le ver du tombeau,
Des funèbres splendeurs
meurt le dernier flambeau.
Mais vous, Napoléon,
qui n’eûtes pour cortége
Que quelques pauvres cœurs
que la douleur assiège ;
Vous que j’ai vu porté
par des soldats anglais :
Souvenir cancéreux,
rongeant l’honneur français
Dont il ne restera ni l’ombre
ni la trace,
Si Londres mise à
feu quelque jour ne l’efface ;
Vous mourant de l’exil, vous,
mon noble Empereur,
Qui nous léguez !...
à nous !... le sceptre de l’honneur !...
Quand nous portons le joug !
quand nous courbons la tête
Aux sifflemens du fouet que
pour nous on apprête...
Pardon, sire, pardon... je
vous ai vu pâlir...
Je parlais du présent...
attendons l’avenir !...
Oh ! ne redoutez pas,
loin de l’île africaine,
Qu’un désir de patrie
un seul instant m’entraîne ;
Non ! votre Grenadier,
ému d’un saint transport,
Vous a gardé vivant,
il vous gardera mort !
Sa voix évoquera d’immortelles
journées :
Austerlitz, Marengo, de gloire
couronnées ;
Waterloo, revêtu de
funèbres lauriers,
Ney, Murat, Duvernet, intrépides
guerriers,
Au mépris des traités,
tués dans des murailles ;
Desaix, Lannes, Duroc, couchés
dans les batailles ;
La colonne d’airain, faîte
d’où l’Empereur
Seul a pu regarder sans vertige
et terreur !
De la tombe troublant la
majesté profonde,
Je vous dirai le bruit que
fait encore au monde
Ce nom, que l’œil en feu
murmurent les soldats,
Et ces nobles récits
ne vous ennuiront pas.
À ces grands souvenirs
je mêlerai le blâme,
Car vous avez un jour, sire,
blessé notre âme.
Vous ne le croyez pas, et
cela vous surprend ?
Hélas ! mon Empereur,
c’est bien vrai cependant.
C’est au retour d’Egypte,
allant en Italie,
Soldats, avez-vous dit, un
même devoir lie
L’armée et le consul.
—Que le mont St.-Bernard,
Le Cénis, le Simplon,
et le mont St.-Gothard
Soient pour nos ennemis des
remparts inutiles ;
À qui cherche l’honneur
tous chemins sont faciles.
Et c’était bien parler.
—Pour chacun des canons
Que vous aurez portés
sur la crête des monts,
Une prime en argent.—Vous
auriez pu voir, sire,
Succéder la tristesse
à la joie, au sourire ;
Oui, cela nous fit mal, et
je pourrais jurer
Avoir vu des anciens du Pont
Lodi pleurer !
Nous vous avons soumis au
jugement d’usage ;
Voici l’arrêt rendu :
Par égard pour son âge,
Pardonnons au consul, qui
nous a méconnus ;
Indulgens cette fois, qu’il
n’y revienne plus.
Entre notre amitié,
sire, c’est la seule ombre.
Plus tard, que l’horizon
fut radieux ou sombre !
Si nous accomplissions un
grand fait sous vos yeux,
Vous nous disiez : C’est
bien ! et nous étions joyeux.
Sire, aux rayons si beaux
du soleil qui se lève,
De la nuit du tombeau chassez
le pesant rêve :
Nous passons l’arme au bras
Santo-Juliano ;
Nous ouvrons notre feu, Marengo...
Marengo,
Sire, vous le savez, n’est
pas une victoire
Dont par un peu de sang on
achète la gloire ;
Non ! Duel sans merci,
l’on s’y prend corps à corps ;
On écrase en chargeant
les blessés et les morts !
Les renforts tardent-ils,
on dit à huit cents hommes :
Grenadiers, vous voyez le
péril où nous sommes,
En attendant Desaix, sur
vous seuls attirez
Les coups de cette armée,
et s’il le faut, mourez !
La Garde Consulaire, ainsi
qu’une muraille,
Deux heures soutiendra l’effort
de la bataille ;
Les obus, les boulets, trente
mille soldats
Lancés sur son carré
ne l’entameront pas !
Sire, quinze ans plus tard,
ainsi qu’elle commence,
La Garde tombera pour vous
et pour la France !...
À nous la Bormida,
Santo-Juliano ;
À nous Castel-Novo,
Rivalta, Marengo !
Pris et repris vingt fois ;
à nous l’artillerie,
Les drapeaux de Mélas
et son infanterie !
Payé par tant de sang,
à nous le beau succès ;
À nous... à
nous aussi... les funèbres cyprès !
Plus de chant triomphal,
plus de pompes guerrières,
Sur le corps de Desaix inclinons
nos bannières !!!
Est-ce la foudre ? Non,
l’horizon est serein.
Vrai Dieu, mon Empereur,
c’est la voix de l’airain ;
Viendrait-on vous chercher ?...
Voici que la nuit tombe ;
Dormez, sire, dormez ;
je veille votre tombe.
Oh ! ce n’est pas encor :
ce vaisseau dont le flanc
En passant vous salue, arbore
un drapeau blanc !
Deuxième
Journée.
Voici l’aube
qui vient, oh ! réveillez-vous, sire,
Nous avons aujourd’hui tant
de choses à dire.
Mais avant tout parlons de
ce que vous aimiez :
Du saule, du ruisseau qui
murmure à vos pieds,
Du pic où regardant
à l’horizon immense,
Triste, vous nous disiez :
Là-bas est notre France...
Je ne la verrai plus. —Du
vallon du Fermain,
Que vous ne quittiez pas
sans lui dire : À demain.
Sire, rien n’a changé
dans la fraîche vallée
Depuis l’heure où
votre âme, hélas ! s’est envolée ;
Non rien, mon Empereur, pourtant
voilà dix ans
Que nous sommes rayés
du livre des vivans ;
Le saule est toujours vert,
le ruisseau bien limpide,
Chaque jour le vieil aigle
y vient d’un vol rapide,
Plane sur le tombeau, les
larmes dans les yeux,
Jette un cri de douleur,
et monte dans les cieux.
Que je voudrais vous voir !...
calculer quelle trace
La tombe a pu laisser à
votre auguste face ;
Car moi, mon Empereur, j’ai
bien vieilli ; le temps
A tout ridé mon front
et fait mes cheveux blancs ;
Mes yeux sont affaiblis,
ma tête s’est penchée,
Chaque jour du tombeau la
voit plus rapprochée,
Et j’en suis tout joyeux ;
les rouges m’ont promis
De ne pas séparer
les deux soldats amis ;
De mettre à nos tombeaux
une honnête distance
Qui marque de nos rangs,
sire, la différence ;
Car votre grandeur, jaloux
de tant d’honneur,
Sait aussi le respect qu’il
doit à l’Empereur !
Oh ! vous êtes
plus grand, dans votre Sainte-Hélène,
Dans le sépulcre étroit
qui vous contient à peine,
Que le jour où le
pape, après les dons offerts,
Bénissait l’Empereur,
la ville, l’univers ;
Plus grand que dans ces jours
d’impériale aumône,
Où vous rendiez aux
rois leur épée et leur trône ;
Où l’Église
pour vous épuisait tous ses chants ;
Où l’Europe vassale
alors battait aux champs ;
Plus grand qu’à Marengo,
Castiglione, Arcole,
Où vous avez conquis
une riche auréole ;
Que sur les bords du Nil ;
que sur le mont Cenis ;
Plus grand, mon Empereur,
que le jour d’Austerlitz.
Immortel souvenir, qui, tour
à tour, éveille
Pour la France une gloire
à nulle autre pareille ;
Un malheur inspirant de douloureux
récits,
Nomme tous les grands jours :
le soleil d’Austerlitz !
De l’aigle impérial
c’était l’anniversaire ;
Nous nous étions promis
de le fêter au frère ;
Nous voulions un bouquet
qui ne fût pas commun,
Et les anciens entre eux
en arrêtèrent un :
Voici, mon Empereur, si j’ai
bonne mémoire,
De quoi se composa ce bouquet
de victoire :
De fusils ennemis d’innombrables
faisceaux,
Vingt mille prisonniers,
puis quarante drapeaux,
La garde Russe à pied
et sa cavalerie,
Huit ou dix généraux,
toute l’artillerie ;
Nous voulions lui donner
aussi deux Empereurs ;
Il ne le voulut pas en voyant
leurs frayeurs.
Les ingrats ! ce sont
eux, dont quelque jour la haine
Creusera son tombeau dans
cette île africaine !
Excepté pardonner,
il fit tout à demi ;
Et dans le combat seul voyait
son ennemi.
Il crut à l’amitié
que la pourpre décore,
Quand celle des soldats seule,
hélas ! vit encore ;
Indulgent pour ces grands,
qu’il eût fallu punir,
Ils purent à leur
gré façonner l’avenir ;
Puis d’être généreux
quand pour eux sonna l’heure,
Voici ce qu’ils ont dit :
Il est trop grand, qu’il meure !
Qui parle de traités
pour cet homme haï,
Lui que ses serviteurs eux-mêmes
ont trahi ?
Dont l’aigle sentira des
atteintes mortelles
Élaguer dans la nuit
ses deux puissantes ailes,
Afin que si le jour rallume
les combats,
Qu’il veuille s’élancer,
il ne le puisse pas !!!
Dormez sire, dormez ;
je ne vois pas encore
Surgir à l’horizon
le drapeau tricolore !
Troisième
Journée.
Sire, bientôt
vingt ans !... Que font-ils donc là-bas ?...
Oh ! ce n’est pas pour
moi, non ! je ne me plains pas ;
Que ce soit aujourd’hui,
demain que je succombe,
Je sais que près de
vous on creusera ma tombe ;
Que si l’on vient, moi mort,
enlever le héros,
Il en est qui diront :
d’Hubert voici les os...
Seul il souffrirait trop
sur la terre étrangère ;
Cela dit, ils sauront ce
qu’il leur reste à faire.—
Ce n’est pas de cela que
je suis soucieux,
Que je rougis, que j’ai les
larmes dans les yeux :
C’est que, depuis dix ans,
sans cesse je vois, sire,
Passer bien des vaisseaux
aux couleurs de l’empire,
Et malgré moi je dis :
Ils n’ont donc pas de cœur,
De laisser dans l’exil ainsi
leur Empereur !
Quand venir le chercher leur
serait si facile ;
Que la France n’est plus
épuisée et débile ;
Que de son seul regard naît
un péril commun
Que nul n’ose affronter s’il
n’est quatre contre un ;
Quand dans l’un des plateaux
ce grand nom de la France
Fût-il seul, sans efforts
emporte la balance ;
Que l’on feint d’ignorer,
abusant notre espoir,
Que pour elle pouvoir, n’est
autre que vouloir ;
Que faiblesse n’est pas prudence !
Voilà, sire,
La cause d’un chagrin que
je n’osais vous dire,
Et qui fait que souvent,
muet, le cœur glacé,
Je place le présent
en regard du passé !
Attendez !... ce n’est
rien... rien qu’un nuage sombre,
Qui passant sur la mer y
projette son ombre ;
Fouetté par le vent,
il vient de ce côté...
Debout, mon Empereur, c’est
votre liberté !
Oh ! j’avais blasphémé...
mon âme s’est aigrie :
J’ai tant souffert pour lui...
pardonne, ma patrie !
Mon Empereur, je vois grandir
à l’horizon,
D’insignes pavoisé
jusqu’à la flottaison,
Un noble bâtiment qui,
glissant sur les lames,
Jette par ses sabords à
temps égaux des flammes,
Non plus pour honorer d’un
simulacre vain
Les couleurs que peut-être
il combattra demain ;
Car il a dépassé
le salut de la terre,
Et cependant sa voix n’est
pas prête à se taire.
Fier de sa mission, il vient,
majestueux,
De la proue à la poupe
environné de feux.
Sur un honteux délire,
oh ! gardez le silence,
Ne dites pas : Cet homme
a douté de la France !
Oui, sire, c’est pour vous
qu’un salut souverain
S’échappe à
coups pressés de cent bouches d’airain.
Ces vergues à mi-mâts,
ces sombres draperies,
Ces drapeaux rehaussés
de nobles armoires ;
N’en doutez pas, la France
attend votre cercueil.
Je vois tous vos amis, sire,
vêtus de deuil ;
Puis à leur tête,
beau comme le roi de Rome,
La douleur dans les yeux,
sire, vient un jeune homme...
Dites, mon Empereur, à
cet enfant royal,
Dont le front est empreint
d’un respect filial ;
Ma voix a légué,
prince, en face de la terre,
L’opprobre de ma mort à
l’infâme Angleterre,
Écoutez le serment
par Dieu même attesté :
Pour qui me vengera, c’est
l’immortalité !
À moi mon vieux fusil,
le règlement d’usage
Veut le mot d’ordre, avant
de livrer un passage :
Halte ! qui vive ?
« France, et cortége d’honneur
« Chargé de rapporter
le corps de l’Empereur ! »
Sire, vous l’entendez, votre
cendre sacrée
Va reposer enfin sous la
voûte dorée ;
Votre vieux grenadier, sire,
l’y conduira.—
« Et vous soldats de
France, oh ! quand il vous plaira !!! »*
*Ce dernier vers étant
obscur pour ceux qui n’ont pas servi, l’auteur a cru devoir séparer
sa note de celles qui terminent ce volume et la placer en regard.
« Quand il vous
plaira », est une phrase consacrée. Exemple : « Qui
vive ? — France. — Quel régiment ? — Soixante-onzième
de ligne. — Quand il vous plaira, pour : Le passage vous est
ouvert, passez quand il vous plaira. » Ce
n’est donc qu’après qu’Hubert a reconnu ceux qui s’approchent,
qu’il leur permet de venir à la tombe de l’Empereur.
Cette explication pour
un hémistiche, paraîtra peut-être longue à
quelques-uns mais, cet hémistiche résumant l’admirable
dévouement du Grenadier de Ste.-Hélène, l’auteur
a voulu le conserver.
À mon père,
Mort à l’Hôtel
des Invalides
Ces bras
victorieux, glacés par les années,
Quarante ans de l’Europe
ont fait les destinées.
Restes encor fameux de tant
de bataillons,
De la foudre sur vous j’aperçois
les sillons.
Que vous me semblez grands !
le sceau de la victoire
Sur vos ruines mêmes
imprime encor la gloire ;
Je lis tous vos exploits
sur vos fronts révérés :
Temples de la valeur, vos
débris sont sacrés.
Thomas. Pétréide.
Simple et robuste enfant
grandissant au village,
Un jour qu’il labourait son
modique héritage,
Il entendit des voix crier
par les chemins :
« Aux armes, bons Français,
la patrie éplorée
« Appelle ses enfans
à la guerre sacrée... »
Le soc s’échappa
de ses mains.
Puis il resta pensif :
il songeait à sa mère
Que les ans ont voûtée ;
au tombeau de son père,
Où lui-même
a planté les funèbres cyprès.
Trois jours il hésita ;
mais, qu’il dorme ou qu’il veille,
Sans relâche il entend
bruire à son oreille
Les voix : « Aux
armes, bons Français ! »
Le cœur gros et le front
obscurci d’un nuage,
Il mit au havresac son modeste
bagage ;
Et sa mère pleurait
et l’appelait ingrat.
Lui, dévorant ses
pleurs, pressait la pauvre vieille :
« Mère, je reviendrai,
car le Seigneur me veille... »
Le laboureur partit soldat.
C’est un âpre chemin,
une longue campagne,
Qui, des portes d’Arlon1,
se termine en Espagne ;
Que de combats rendus, de
périls surmontés.
Tombés sous la mitraille,
et tombés sous la tente,
Ô mon père !
dis-moi, dans ta route sanglante
Combien de héros sont
restés !
« Si tes enfans un jour
te demandent ma vie,
« Et de quel grand renom
ma mémoire est suivi,
« Dis, que dans vingt
combats j’ai laissé de mon sang ;
« Que l’autre m’a donné
cette croix étoilée ;
« Que sans remords,
sans peur, trente ans dans la mêlée,
« Face au feu j’ai
gardé mon rang. »
1 Premier combat
auquel assista le père de l’auteur ; où il prit une
pièce de canon, lui troisième, et fut nommé officier
sur le champ de bataille.
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