MESCHACÉBÉENNES

POÉSIES

PAR
DOMINIQUE ROUQUETTE.

L'art des transports de l'âme est un faible interprète;
L'art ne fait que des vers; le coeur seul est poète.
André Chénier.

PARIS.
LIBRAIRIE DE SAUVAIGNAT,
CARREFOUR BUSSY, 1, ET QUAI MALAQUAIS, 3.
1839.


PRÉFACE.

Jeté sur la terre d'exil par des circonstances inattendues, oppressé du poids d'une irremédiable tristesse, craignant de voir s'éteindre ma vie loin des bords de ce Michasippi que tout créole de la Louisiane aime d'un amour filial, vers qui tout enfant voyageur se sent entraîné par un irrésistible instinct, j'éprouve le besoin de laisser à mes concitoyens, à ma famille, à mes amis, ces faibles essais poétiques comme un souvenir. J'ai voulu aussi inspirer aux jeunes poëtes de la France le désir de visiter les forêts vierges de la Louisiane. Que ces âmes souffrantes, que

Ces coeurs lassés de tout, même de l'espérance,

Viennent rêver à l'ombre de nos mélèzes harmonieux, sur les rives inhabitées de quelque bayou solitaire, au murmure des ruisseaux sans nom du désert, au chant plaintif et monotone du will poor will! C'est là qu'ils trouveront des trésors inconnus ailleurs: la paix de l'âme et l'oubli de tout! Poétiques enfans de la France, que ne comprenez-vous l'idiome harmonieux et musical de la tribu Chactas, cette langue aimée de notre enfance, mais que notre jeunesse oublie! Ah! c'est dans cette langue don't chaque syllabe emprunte sa sauvage harmonie de quelque voix mystérieuse de la solitude, c'est dans ce dialecte inculte et coloré des fils du désert, que nous vous parlerions avec éloquence des vierges forêts, des ondoyantes et vastes savanes, des mille bayous tributaires du plus grand des fleuves américans!. . . . Fille de la France, la Louisiane, comme sa mère, aura un jour ses poëtes. Du sein de notre belle et bouillonnante jeunesse, il surgira, n'en doutons pas, quelques uns de ces hommes prédestinés qui, selon l'expression de Victor Hugo:

Marchent un pied dans l'avenir!

Oui, notre Louisiane est une terre de tristesse et de poésie! Comme la vieille Calédonie, c'est une austère et sauvage contrée, stern and wild, c'est une grande et inculte nature qui sera féconde en poëtes. Puisse, un jour, quelque barde immortel de nos savanes américaines prendre pour épigraphes à ses chants futurs quelques uns de mes vers, et sauver mon nom de l'oubli!…. Paris, 20 octobre 1838.


EXIL ET PATRIE.

« Qui n'a tourné les yeux, dans ces momens où la patrie
» fatigue, vers la république de Washington? Qui ne s'est
» assis, dans la pensée, à l'ombre des forêts et des lois de
» l'Amérique?»
(L'abbé Henri LACORDAIRE.)

« J'irai errant dans mes solitudes; pas un seul battement
» de mon coeur ne sera comprimé; pas une seule de mes pen-
» sées ne sera enchaînée; je serai libre comme la nature;
» je ne reconnaîtrai de souverain que celui qui alluma la
» flamme des soleils et qui, d'un seul coup de sa main, fit
» rouler tous les mondes. »
(CHATEAUBRIAND.)

« Terre de Washington, j'ai souvent dans mes veilles
» Rêvé de m'enfoncer en tes riches déserts,
» Rêvé de saluer tes lointaines merveilles,
» Las des astres vieillis de ce vieil univers.»
(A. de LATOUR)

A M. ADRIEN R…

EXILE ET PATRIE.

Que m'importe le champ où la Bastille fut,
La fenêtre où tirait Charles neuf à l'affût,
L'immense Panthéon, son fronton et son dôme,
Et le grave Empereur sur la place Vendôme,
Et le maigre gazon du bourbeux Champ-de-Mars,
Et le palais du prêtre assassin de Cinq-Mars,
Et Notre-Dame, où l'oeil extasié se plonge,
Et sa duplexe tour qui vers les cieux s'allonge,
Antique monument, débris du peuple Goth,
Qui surgit tout entier de la tête d'Hugo?…
Moi, dont le corps faiblit, dont l'âme et en tristesse,
Que me font les plaisirs de la molle Lutèce?
Est-ce pour consoler mon coeur de deuil saisi
Que Taglioni danse et que chante Grisi?
Pour me verser l'oubli des savanes connues,
Que l'Opéra vomit ses femmes demi-nues?
Est-ce pour dissiper mon long mal du pays
Ton sourire si doux, gracieuse Anaïs?
O brune Léontine, Andalouse française,
Est-ce pour que mon coeur palpite plus à l'aise,
Est-ce pour l'exilé des pins de Bonfouca
Que s'embrasent ainsi tes yeux de Rebecca?…
Non!…pour moi, paria, la chambre solitaire,
Pour moi, privé d'amour, pour moi, l'étude austère,
La Cité-Thébaïde et son brouillard de plomb….
Oh! que ne puis-je entendre, insoucieux colon,
Les arbustes semés en lignes inégales,
Dans ma tiède forêt résonner de cigales!….
……………………………………………..
……………………………………………..
Qu'un autre, ingrat enfant, vieux fleuve, te blasphème,
Moi, je te chanterai, Michasippi…je t'aime(1)!
Je chanterai toujours, lorsque l'on te maudit,
Tes savanes, tes bois où le bison bondit.
A toute âme aspirant aux émotions neuves,
Je dirai: «Venez voir le plus grand de nos fleuves,
Ce vieux Nil des déserts où Châteaubriand but(2),
Et les mille affluens qui lui portent tribut,
L'Arkansa, le Wabash, l'Ohio, tous ceux que nomme
Si poétiquement le sauvage idiome!»

Loin du boueux Paris, viens poëte avec nous!
Viens t'enivrer du chant de nos colins-foroux(3),
Et de ces mille voix que la forêt bégaie
La nuit; dans nos bayous, viens, plongeant la pagaie(4),
Avec le nègre ardent rivaliser d'efforts;
Viens chasser le chevreuil caché dans nos boix-forts(5),
Européen blasé, viens te faire sauvage:
Ah! loin de cette foule, au pesant esclavage,
Loin d'un monde égoïste où tu maudis le sort,
Dans nos calmes déserts, viens voir comme l'on dort!
Viens voir les Indiens, dans nos pinières vertes,
En cercle, insoucieux, couchés sur leurs couvertes(6);
Viens voir le nègre heureux pêchant au bord de l'eau:
Esclave, il voit un père où tu vois un bourreau.
Sous la hutte de pin, oh! viens, comme Pavie(7),
Retrouver dans nos bois l'indépendante vie,
Et chanter, tour à tour, dans ta mâle fierté,
Dieu, la grande nature, avec la liberté!

Paris, Cité, le 2 janvier 1836.

A M. ANATOLE C…………..

Oh! choisir une femme et crèer autour d'elle
Tout un monde enchanté
Et vouloir seulement, pour la faire immortelle,
Une immortalité!
(A. de Latour.)

Oh! puisque pour toujours, enfin, j'ai renoncé
A ce rêve d'amour qui m'a longtemps bercé,
A cet ange divin, ma créole inconnue,
Que sous les tièdes pins je pressais demi-nue,
Quand dans mon sein mon coeur battait avec effort,
Lorsque je me couchais triste près d'un bois-fort,
Et que, morne fantôme, à l'ombre de l'yeuse,
J'inclinais, en pleurant, ma tête soucieuse;
Oh! puisque pour toujours, enfin, j'ai renoncé
A ce rêve d'amour qui m'a longtemps bercé,
Ce rêve d'avenir et d'illusions folles,
Fusion de deux coeurs, de deux âmes créoles,
Etreintes sur un lit de mousse et de plantain,
Quand le silence plane au bois, après le bain,
Quand la forêt se tait, que, muets, on s'écoute,
Et que le bonheur est si grand que l'on en doute;
Oh! désormais, je puis vivre content de peu,
Et plus sage aujourd'hui, je ne forme qu'un voeu:
C'est de m'ensevelir dans une solitude,
De me bâtir, là-bas, un abri pour l'étude,
C'est, renonçant enfin aux songes de Réné,
De vivre insoucieux, d'auteurs environné.
Oh! non, Paris n'est point, ma souffrance l'atteste,
L'enivrante oasis où pour toujours on reste!
O ma sainte pinière, ô mes bayous sans nom,
A vous toujours me lie un mystique chaînon!
Je suis, je suis toujours l'enfant de la savane,
Le sauvage banni qui reveut sa cabane.
Sous un nouveau soleil rien n'a pu me changer;
Oh! quand verrai-je encor les bois de l'Oranger,
Les Rigolets connus et puis la Grande-Pointe,
Les chênes du Lacombe et le château d'Alpointe(8),
La cime des grands pins, le sable blanc, les joncs
Surgir à mes regards aux lointains horizons!

Paris, 1836

. A M. ADRIEN R………

L'horizon, cette patrie des âmes inquiètes!
(G. Sand.)

Aiglons aventureux, dans l'espace égarés,
Nous irons gravitant vers les climats sacrés,
Abattant notre vol de l'abîme des nues:
Nous les visiterons ces terres inconnues,
De notre cri sauvage éveillant tout écho:
Nous verrons «le Jourdain dormant sous Jéricho(9),»
Le morne Golgotha, le Cédron, le Calvaire,
La ville des Hébreux que le chrétien révère,
La terre où le passé nous répond en toute lieu,
Et le vide tombeau, débris de l'Homme-Dieu!…
Oui, dans un jour lointain, un avenir à naître,
Nous la satisferons, cette soif de connaître,
Ce désir qui toujours aux jeunes âmes point,
Qui grandit avec nous et qui ne faiblit point.
Et d'où vient donc que l'homme, insoluble problème,
Abandonne, inquiet, le sol natal qu'il aime?
Pourquoi son coeur poussé vers tout lointain climat
Se gonfle avec la voile et tremble avec le mât?
C'est que de l'Océan la sauvage harmonie
Seule peut assoupir une âme en agonie,
C'est que, pour apaiser la fièvre du cerveau,
Il faut les grandes mers, l'air d'un monde nouveau!
Pourquoi, Châteaubriand, viens-tu, loin de la France,
Sous l'arbre américain promener ta souffrance?
Oh! c'est qu'avec sa voix, le vieux Michasippi
Berce, comme un enfant, le poëte assoupi!
Oui, tu la ressentais la puissance inconnue
D'une vierge forêt, d'une savane nue!
Oh! c'est que le désert, le sauvage bison,
Les Indiens groupés, le soir, près du tison,
Tout émeut un coeur jeune et l'enivre et l'inspire;
Oh! c'est que là le bruit des passions expire,
C'est que dans nos déserts, aux grandioses nuits,
Au vieux Sta-Houlou seul on conte ses ennuis(10)!

Comme tout jeune coeur, quand le doute l'oppresse,
Exhalant devant Dieu ma pieuse tristesse,
Poëte, aux mille voix grondant dans la forêt,
Aussi moi je demande un mot du grand secret,
Toujours interrogeant et les cieux et la terre,
Toujours enveloppé d'un éternel mystère.
L'Indien étonné me dit: «O mongoula(11),
Pourquoi l'aché-ninak te trouve toujours là?
Et pourquoi donc toujours, ô fils de la peau blanche,
Contre un magnolia ton jeune front se penche?»
Et je réponds: «Enfant de la rouge tribu,
Dans l'eau du fleuve vieux que n'ai-je toujours bu?
Chactas insoucieux, pourquoi donc le grant-être(12)
Sous l'Indien tchouka ne m'ai-t-il point fait naître?
Comme un de vous berçant mon hamac de roseaux,
Ma vie aurait coulé comme ces grandes eaux!»

Bonfouca (Louisiane), 1837

A MADAME …..,
QUI REPROCHAIT A SON FILS
D'AVOIR RENONCÉ A LA CARRIÈRE DU BARREAU
POUR VIVRE DANS LA SOLITUDE.

«I love not man the less but nature more!»
(BYRON.)

Oh! non, vous vous trompez, la solitude est sainte!
Votre fils est heureux sous l'arbre de l'enceinte,
Quand il entend le chant de nos rouges moqueurs,
Harmonie enivrante et faite pour nos coeurs,
Oh! ne répétez point ces amères paroles:
Vous ne connaissez point nos savanes créoles.
Si votre enfant aimé vit comme Robinson,
Oh! c'est qu'il est poëte et que son coeur est bon,
Oh! c'est qu'il a compris que là, la vie est douce,
C'est qu'un instinct puissant vers la forêt nous pousse,
Que nous avons besoin, nous poëtes jumeaux,
De la voix des grands pins pour endormir nos maux
Lorsque nous savourons, sur la natte créole,
Le far niente de Naple et la sieste espagnole,
Que nous avons besoin tous deux, comme Réné,
D'y reposer un coeur du ciel abandonné,
D'y confier la nuit nos secrets aux vieux chênes,
D'y vivre et mourir loin des affaires humaines!

Nouvelle-Orléans, janvier 1837.

A M. SOULANGE M………..

Fortunate senex!
(VIRGILE.)

Dives opum variarum.
(VIRGILE.)

O fortuné vieillard ton sort me fait envie(13)!
Que ne puis-je, imitant ta solitaire vie,
Comme toi voir couler, créole Robinson,
Mes jours comme un ruisseau dans un désert sans nom!
Quel est donc ton secret? et quoi! tu vis tranquille,
Content, insoucieux, près du Bayou-de-l'Ile?
Homme prédestiné! pour toi jamais d'ennuis!
Le far niente des jours et le calme des nuits,
Tout pour toi! L'on dirait à te voir, vieux Soulange,
Que Dieu mit ton bonheur sous la garde de l'ange.
Ah! tu n'as point, enfant, loin de l'arbre natal,
Entraîné comme nous au ciel oriental,
Comme nous, tu n'as point, fils de la solitude,
Connu ce miel-poison que l'on nomme l'étude!
Et que te font, dis-moi, dans ton obscurité,
Ces grands problèmes: Dieu, Vie, Immortalité?
A toi qu'importe hélas! et ce triple mystère,
Et le secret des cieux qu'en vain cherche la terre?
Point de rêves pour toi, vaine aspiration:
Tu vis comme un oiseau de la création.
Sous tes copalmes frais, à l'harmonieux cône,
Aux brises de la nuit, quand la forêt frissonne,
Pour toi, d'enivremens et de spasmes saisi,
L'île semble un Éden, et Claire une Grisi(14)!

Bonfouca (Louisiane), février 1837.

A M. DRUMMOND, NATURALISTE ANGLAIS,
QUI S'ÉTAIT ÉPRIS D'AMOUR POUR UNE JEUNE FILLE DES BOIS.

Oh! lorsque le matin paraît la jeune fille,
A travers les buissons, sous sa rouge mantille,
Quand sa voix retentit au delà du vieux pont,
D'où vient donc qu'en ton coeur un écho lui répond?
Oh! d'où vient? Est-ce amour ou bien amitié sainte?
Pourquoi toujours tes pas dirigés vers l'enceinte?
Réponds-moi! d'où te vient ce besoin de la voir,
Cette vierge créole, Andalouse à l'oeil noir?
Quand vers le bord voisin la pirogue l'emporte,
Oh! comme, avec amour, muet, devant la porte,
Drummond, d'un long regard tu la suis à travers
Les arbustes lointains et les lataniers verts,
Et puis, à pas tremblans, t'approchant de l'écore,
Haletant, incliné, tu l'écoutes encore!

Bonfouca (Louisiane), février 1837.

A M. ADRIEN R……

Wheerer I roam, whatever realms to see,
My heart untravelled fondly turns to thee.
(Goldsmith)

O frère, que de fois, perdu dans le silence,
Un mystique, invisible aimant vers toi me lance!
Assis, à mes côtés, Adrien, je te vois
Et je presse ta main et j'écoute ta voix.
L'imaginaire accent de cette voix ouïe
Calme, berce, un instant, mon âme épanouie.
Je me rappelle alors notre dernier adieu,
Et je tombe à genoux et je demande à Dieu,
A cet être inconnu, providence éternelle,
De prendre l'exilé sous l'ombre de son aile,
De son souffle puissant d'entraîner le vaisseau
Qui le porte endormi vers son lointain berceau,
D'animer et refaire une mourante vie
D'un reste de chaleur à toute mon sang ravie.
Car, ô mon Dieu, vois-tu, c'est l'enfant de mon choix,
C'est le coeur et c'est l'âme en qui seule je crois,
Le sympathique écho de ma mélancolie
Qui souffre d'un passé que jamais je n'oublie,
C'est le seul, quand ma vie aura fui comme l'eau,
Qui, recueilli, viendra pleurer sur mon tombeau!

Bonfouca (Louisiane), mars 1837.

LOUISE.

Une mère, vois-tu, c'est là l'unique femme
Qu'il faille aimer toujours,
A qui le ciel ait mis assez d'amour dans l'âme
Pour chacun de nos jours.
(A. de LATOUR)

A MA SOEUR, A MES FRÈRES.
LOUISE.

Quand elle reposa, sous un tertre sans nom,
Celle à qui nous liait le filial chaînon,
Et que, sur ce gazon où l'arbuste s'incline,
Pleuraient ses fils enfans et sa fille orpheline,
Moi, qu'alors enfermait la zone d'orient,
Enfant insoucieux et prisonnier riant,
J'attendais, du vaisseau parti de la Balise,
Un mot, un souvenir, un baiser de Louise.
Le vaisseau vint…. alors, enfant désordonné,
Mon Dieu, je t'ai maudit et tu m'as pardonné!
Oh! c'est que ton amour, c'est que ta pitié tendre,
Ètre mystérieux, avait su me comprendre!
Oh! c'est que le blasphème et les mortels défils
S'excusent, échappés à la douleur d'un fils!
Au livre du péché l'ange inclinant sa face,
Pleure, et puis de sa main pieuse les efface.
C'est alors, qu'une nuit (toujours je m'en souviens),
Comme une voix d'en haut semblait me dire: «Viens,
»Viens, je sais endormir une tristesse amère,
»Viens, enfant, je serai ton adoptive mère,
»Viens, repose, orphelin, sous mon aile abrité:
»Ce qui meurt dans le temps vit dans l'éternité!»
(Juin 1837.)

MIDI

….Resonant arbusta cicadis.
(VIRGILE.)

C'est l'heure solennelle où tout se tait, c'est l'heure
Où la création en silence demeure.
Le chant du moqueur rouge, en un dernier effort,
Retentit et s'éteint dans l'écho du bois-fort.
Le pesant carrion-crow de l'abîme des nues(15)
Regagne haletant ses retraites connues;
Et le caïman seul, au rayonnant zénith,
Etend un dos cuivré que la vase brunit,
Et, sur un bois flottant, de sa gueule embrasée,
Aspire la lumière ainsi qu'une rosée.

LA NUIT.

Le soir ramène le silence.
………………………..
Je suis, dans le vague des airs,
Le char de la nuit qui s'avance.
(LAMARTINE.)

La lune du Lacombe argente les deux rives:
Pas un bruit de roseaux ni de feuilles plaintives.
Au camp muet s'éteint le cri du négrillon;
Dans le foyer buit l'invisible grillon.
Oh! c'est l'heure pieuse où l'âme recueillie
S'enivre de silence et de mélancolie,
L'heure où le will-poor-will, tendre et plaintif oiseau,
Sous le magnolia qui s'incline sur l'eau,
Sous le saule qui pleure ou l'yeuse isolée,
Comme une âme souffrante, une ombre inconsolée,
Jette aux brises des nuits ce triste et lent accord
Qui muert dans le lointain et qu'on écoute encor…
Sur le bayou, enant une pagaie oisive,
Calme, je laisse errer ma pirogue en dérive,
Et je rêve, et je prie, et jusqu'au point du jour,
Je me berce enivré de doux songes d'amour.
Juin 1837.

A M. ADRIEN R…..

D'autres fois, je poursuis ma ligne accoutumée,
En aspirant du tube une longue fumée,
Et de mes maux passés le souvenir amer
Fuit avec la vapeur de l'écume de mer.
(BARTHÉLEMY.)

Fumer, c'est le bonheur! au vent de la savane
J'aime à jeter les blancs flocons du pur Havane!
Oui, frère, j'aime à voir, flâneur insoucieux,
Chaque spirale poindre et tendre vers les cieux!
Fumer, c'est le bonheur! quand la grande nature,
Au printemps, donne une âme à toute créature,
Quand m'arrive affaibli, pour m'assoupir le coeur,
Un chant de cardianl ou de rouge moqueur;
Fumer, c'est le bonheur! quand le tiède mélèze
M'offre une ombelle verte où je respire à l'aise,
Quand, sous le pacanier, sybarite colon,
Je déguste, l'été, ma tranche de melon;
Fumer, c'est le bonheur! quand la brumeuse automne
Soupire dans les pins sa plainte monotone;
Quand la sarcelle arrive et que les tanampos(16)
De nos mille bois-forts troublent le long repos;
Fumer, c'est le bonheur, quand le coup de nord gronde,
Quand passe le zinzin sifflant comme la fronde(17),
Quand l'orgue de nos bois rend de lugubres sons,
Quand tous, au coin du feu, nous nous réunissons,
Et qu'en nos souvenirs de joie ou de tristesse,
Comme une ombre apparaît la lointaine Lutèce,
Centre de l'univers, oasis du cerveau,
Ville qui nous dota, frère, d'un sens nouveau,
Panorama vivant, qui toujours se déroule,
Char immense, éternel, à mille essieux, qui roule…
Fumer, c'est le bonheur! en voyage surtout,
Sur le Steam-Boat errant, dont la fournaise bout,
Dans l'indien pini qui sur le lac oscille(18);
Sur le vaisseau grondant qui déferle et qui sille,
Quand le marin d'un chant joyeux frappe l'écho
Des rivages de Cube ou des rocs d'Abacco,
Quand le soc de la quille, enfoncé sous la lame,
Se relève, bondit, sur les bancs de Bahame;
Fumer, c'est le bonheur! près du Guadalquivir,
Quand une bouche rose et sculptée à ravir,
Qui convie aux baisers, sur qui notre oeil s'arrête,
Aspire, à flots légers, la jaune cigarette,
Quand chaque passion, dans le ciel d'un oeil noir,
Se reflète et se peint ainsi qu'en un miroir;
Fumer, c'est le bonheur! pour toute âme en tristesse,
C'est avoir Léontine ou Grisi pour maîtresse,
C'est presser haletant, sur son coeur attendri,
L'égyptienne Almé, la mystique houri;
Fumer, c'est le bonheur! de la zone d'Asie,
C'est comprendre, Adrien, toute la poésie;
D'un nuage couvert, c'est se rêver sultan
D'Alep ou de Stamboul, de Smyrne ou d'Ispahan;
C'est peupler le désert; sous la hutte créole,
C'est d'une gorge en feu titiller l'aréole,
C'est s'enivrer d'amour; oh! c'est vivre et jouir…
Oh! dans l'air agité mollement, c'est ouïr
D'harmonieux soupirs et des plaintes de femme,
Dans un monde idéal c'est faire nager l'âme!!…
Juin 1837.

AUX HOMMES D'ARGENT.

Flumina amem silvasque inglorius!
(VIRGILE.)

Oui, je suis un rêveur! j'aime comme Virgile
A vivre inglorieux,
Près d'un ruisseau sans nom qui reflète tranquille
Le vif azur des cieux;

Oui, je suis un rêveur! ainsi que Lamartine,
Sur l'eau d'un lac mouvant,
J'aime à voir, au lointain, la voile qui s'incline
Sous l'haleine du vent;

Qui, je suis un rêveur! au branle de la rame,
Au bruit de l'aviron,
En des songes sans fin, j'aime à bercer mon âme
Comme Goethe et Byron;

Oui, je suis un rêveur! Calme, l'âme attendrie,
Dans ma forêt priant,
J'aime le chant lointain des cailles de prairie
Comme Châteaubriand;

J'aime, au désert, ces nuits d'Amérique si belles,
Quand paisible, l'été,
Sous les magnolias arrondis en ombelles
Je m'endors abrité;

Comme le pèlerin d'Amérique et d'Asie,
L'Homère de nos jours,
Ce roi de la Nature et de la Poésie,
Oh! j'aimerai toujours

Ces tableaux des déserts d'une grande nature
Que sa prose a dépeints,
Le soleil embrasant la longue chevelure
Des granitiques pins;

Dans l'obscure savane, une yeuse isolée
Au feuillage tremblant,
Qui semble un noir fantôme, au seuil d'un mausolée,
Traînant un voile blanc.

J'aime quand mon coeur souffre, et fléchit, et succombe
Sous le poids de l'ennui,
A suivre l'Indien aux sources du Lacombe,
Et, calme comme lui,

Sous les verts lataniers, étendu sur la terre,
A l'ombre d'un bouleau,
D'un oeil inattentif, créole solitaire,
Regarder couler l'eau.

Oui, je suis un rêveur! Vous que l'or inquiète,
De ce stupide écho,
Sans cesse vous venez assourdir le poëte,
Hommes de l'agio!

Oui, je suis un rêveur! Égaré dans des routes
Vierges de pas humains,
J'ignore hélas! comment l'argent des banqueroutes
Se cueille à pleines mains!

Je n'ai jamais jeté, sur votre table verte,
L'honneur comme un enjeu:
Non!.. à vous l'or! à moi, dans ma forêt déserte,
La solitude et Dieu!….

Juin 1837.

A M. ADRIEN R….

Assument pennas, sicut aquilae, volabunt,
et non deficient.
(ISAIE, 40.)

Oui, nous fuirons un jour la sombre Nécropole!
Nous irons, voyageant de l'un à l'autre pôle.
Comme l'errant Humboldt et Victor Jacquemont,
Au creux de tout volcan, au sommet de tout mont,
Nous oserons monter et nous voudrons descendre:
Des vieilles nations nous foulerons la cendre.
Oh! nous retrouverons, au lointain Orient,
Les pas de Lamartine et de Châteaubriand.
Nous verrons la cité, Médine impérissable,
Le grand désert, vêtu de son manteau de sable,
Et le Calvaire saint que Klopstock a chanté,
Et le Jourdain tari comme un ruisseau d'été.
Oui, quand vibre ta voix, chaude de poésie,
Mon âme te répond, d'émotion saisie,
Et je me dis: «C'est bien, le poëte a raison!»
Mon coeur tressaille encor de ta comparaison:
«Peuple, lève les yeux, le couple d'aigles passe:
»Il va de monde en monde et d'espace en espace!»
Paisibles habitans, restez, restez ici:
A nous, Gènes, Venise, Ischia, Portici!
Silence! vieux colons, plus rien ne nous arrête;
A vous un coin de terre et le monde au poëte!
Silence! c'est l'instinct qui l'entraîne sans frein,
C'est son bonheur à lui qu'une quille d'airain
Sur l'abîme houleux jetant un blanc sillage:
Oh! Messieurs, il est beau qu'un jeune homme voyage!
Non, ne l'arrêtez pas; laissez, laissez partir;
Il vous rapportera quelque grand souvenir:
Près du pin embrasé, quand le coup de nord gronde,
Il vous racontera les choses du vieux monde;
Oui, fier, il vous dira, d'un accent imprévu,
Tout ce qu'il ressentait et tout ce qu'il a vu.
Laissez, laissez; je veux réaliser mon rêve:
Un invisible bras m'emporte et me soulève;
Il faut pour alléger le poids de mes ennuis
La zone italienne aux amoureuses nuits!..
Adieu tout ce qu'on aime et tout ce qu'on regrette!
Est-ce ma faute, à moi, si l'einstinct m'inquiète,
Si Lutèce toujours m'apprête un repentir?
A peine débarqué, si je veux repartir?
Est-ce ma faute, dis, homme insensible et sage,
Réponds, si je ne suis qu'un oiseau de passage,
A mon aile s'il faut, à chaque nouvel an,
Un nouveau point du globe où tende son élan!..
Juin 1837.

AU MÊME.

Once more upon the waters, yes once more!
(BYRON.)

Oui, frère,il faut partir! mon âme inassouvie
Veut, sous une autre zone, une nouvelle vie.
Loin des bayous aimés de la terre des pins,
Oh! je veux, suspendu sur les sommets alpins,
Solitaire, évoquer d'un hymne de poëte,
L'ombre d'Alfieri, de Byron, de Goëthe.
De la sphère créole, audacieux aiglon,
De mon aile effleurant les roches du Simplon,
Je veux, fier, saluer de ma voix inconnue
Tout aigle voyageur rencontré dans la nue.
Oh! comme Humboldt, condor dont l'aile balaya
Les neiges du Caucase et de l'Hymalaya,
Qui, haletant, baigna dans l'eau des Amazones
Son front brûlé du feu des tropicales zones,
Que ne puis-je, Adrien, à tout ciel, sur tout sol,
A tout pôle égarer mon poétique vol!
Mais partir seul! pousser mon écumante quille
Loin du rivage sombre où tu souffres tranquille!
Dans le port où tu vis, à l'abri de tout flot,
Sans pitié, te jeter un cri de matelot!
T'abandonner ainsi, mourante sensitive,
Au sol qui te refuse une goutte d'eau vive!
Cher Adrien, jamais! Si pour voir Portici,
Naple, Ischia, je pars…. tu dois partir aussi!
Sur l'Océan frappé d'une quille jumelle,
Qu'à mon sillage enfin ton sillage se mêle!
Juillet 1837.

LA NOUVELLE ATALA.

O Dieu! si tu m'avais donné une femme selon mes désirs;
si, comme à notre premier père, tu m'eusses amené par la
main une Ève tirée de moi-même!
(CHATEAUBRIAND.)

A M. FÉLIX R……

Je me disais: La vie est triste et monotone!
Et quoi! toujours, toujours,
Souffrir, pleurer! ainsi que des feuilles d'automne,
Voir tomber se beaux jours!…

A mes yeux apparut une vierge créole,
Céleste vision,
Et voilà que déjà mon âme se console
Et que l'Illusion,

L'Illusion dorée, aux heures d'insomnie,
S'incline à mon chevet,
Et me dit, d'un accent de suave harmonie:
Ce que ton coeur rèvait,

Le coeur selon ton coeur, l'idéal de ton rêve,
La nouvelle Atala,
Celle que par la main, Dieu t'amène…ton Ève…
C'est elle…la voilà!
Août 1837.

A M. ADRIEN R…..

Moi, l'espérance amie est bien loin de mon coeur;
Tout se couvre à mes yeux d'un voile de langueur;
Des jours amers, des nuits plus amères encore.
Chaque instant est trempé du fiel qui me dévore.
(André CHÉNIER.)

Quand tu me dis: «Partons, à la nouvelle automne!»
Oh! mon doute t'émeut, mon peut-être t'étonne.
Ton regard pénétrant, fixe, sur moi jeté,
Interroge mon front d'un nuage attristé.
Pour ton coeur fraternel ce doute est un mystère.
Hé bien! apprends-le donc, car je ne puis le taire.
Apprends-le; j'ai souffert pendant de longues nuits:
L'étude est impuissante à bercer mes ennuis,
Et, dans ses mille voix, la nature créole
N'a pas un seul accent, un bruit qui me console!
La lointaine chanson d'un invisible oiseau,
Les soupirs des grands pins, les plaintes du roseau,
L'assoupissant écho de l'écumeuse rame,
Rien ne parle à mon coeur, rien ne m'allége l'âme!
Oh! c'est que deux instincts contraires mais puissans,
D'importuns aiguillons me harcèlent les sens;
C'est qu'aujourd'hui je rêve à la terre du Dante,
J'étreins d'un bras fiévreux l'italienne ardente,
Sur la lagune bleue, au flot tiède et mouvant,
J'écoute un chant du Tasse emporté par le vent;
Je tiens sur mes genoux une brune maîtresse,
De ses longs cheveux noirs dénouant une tresse,
Et de bonheur ému, je sens, comme Byron,
A chaque coup donné de rame ou d'aviron,
Mon poumon rafraîchi qui se dilate à l'aise…
Demain…je pleurerai, triste sous le mélèze,
Quand l'autre instincts s'éveille et bouillonne vainqueur,
Et revient m'arracher tous ces rêves du coeur.
Adieu l'heureux départ! adieu le long voyage!
Adieu sur l'Océan notre double sillage!
Adieu les rayons purs du ciel italien!…
Je me sens retenu par l'amoureux lien.
Hélas! je porte en moi ce poison qui corrode,
Cet amour qu'a chanté l'harmonieux rapsode,
Ce maladif amour que le poëte André
Sublime nous dépeint dans son rhythme inspiré!
Ami, contre le coeur impuissante est la tête.
Je veux partir…hélas! un seul regard m'arrête.
Un souris de mon ange, un seul mot recueilli,
Et tous nos grands projets sont livrés à l'oubli,
Et dans l'enceinte errant, tout honteux de moi-même,
Tout honteux de faillir à ce frère que j'aime,
Voyageur renégat, transfuge du vaisseau,
Je semble d'un maudit au front porter le sceau;
Muet esclave aux pieds d'une vierge créole,
Du barde indépendant j'ai perdu l'auréole.
Mais ne la maudis pas, ma voix te le défend:
Est-ce sa faute si je l'aime…. pauvre enfant!
Si, cet hiver, lassé des ennuis de l'étude,
Enseveli vivant dans une solitude,
J'ai senti le besoin d'être moins seul….de voir
Sous des sourcils soyeux rayonner un oeil noir,
Si, pensif, écoutant la bûche en feu qui pleure,
Assis, à son côté, je rêvais toute une heure?…..
Mais non…soyons toujours les jumeaux Siamois:
Je veux triompher d'elle. Oh! partons dans deux mois!
Adieu, pinière aimée, ô solitude sainte!
Adieu, chênes connus de la tranquille enceinte!
Adieu, lac Pontchartrain! adieu ma vieille tour!
Adieu!…je pars…hélas! peut-être sans retour!

Loin des copalmes verts, au balsamiq ue arome,
J'irai m'asseoir, pensif, sur les débris de Rome.
Oh! si le Tibre, mieux que le Michasippi
Me berçait mollement sur son onde assoupi!
Oh! si la cité veuve et qui de tout console
Rendait la paix de l'âme au poëte créole!
Sur ton passé pleurant, ô vieille Niobé,
Oh! si comme Byron, un fils de Mastabé(19),
Loin des pins résineux de l'inconnu Lacombe,
Trouvait l'oubli de tout, près de ta grande tombe!
2 septembre 1837.

A MADEMOISELLE ***.

Près d'une femme, en proie à l'amoureux délire,
Le poëte est muet, il se tait et soupire.
De mille émotions à la fois oppressé,
Il veut poursuivre en vain un rhythme commencé;
Pour calmer de son coeur l'ardente frénésie,
Il appelle, il évoque en vain la poésie:
L'ange de sa jeunesse et de ses plus beaux jours
Semble s'être envolé, l'avoir fui pour toujours…
Oh! pour chanter l'amour sur la lyre inspirée,
Pour peindre le regard d'une vierge adorée,
Pour que les vers, à flots, débordent…que faut-il?
Il faut la solitude, ou l'absence, ou l'exil!
Décembre 1837.

A M. ANATOLE C…..

There is a pleasure in the pathless woods.
(BYRON.)

Et puis tous deux assis, quel bonheur de lui dire
De ces mots qu'on invente et qu'on ne peut écrire,
Ces mots mystérieux qui font trembler la voix,
Prononcés, dans les pins, pour la première fois!
(MÉRV.)

Oui, je pars; il me faut la solitude immense!
Quand je vois ma forêt, alors je recommence
A revivre, à rêver sous mes pins toujours verts,
A m'égarer pensif, à composer des vers.
Quelle est donc, réponds-moi, ta puissance secrète,
O solitude sainte, ô mère du poëte?
Oh! comme tous ces bruits qui tombent des rameaux
Versent au coeur souffrant l'oubli de tous les maux!
Comme à ces mille voix dont l'âme se pénètre,
Attendri l'on se sent rajeunir et renaître!
Il semble alors qu'au monde on ait dit son adieu,
Qu'on soit seul ici-bas et qu'on vive avec Dieu!
Et dans l'illusion, le charme de ce rêve,
On lui dit: «O mon Dieu, mais où donc est mon Ève?
J'ai déjà de mes mains bâti mes ajoupas;
Oh! mon Ève! Mon Dieu, ne l'amenez-vous pas?..»
C'est ce que je disais autrefois, le coeur vide,
D'amour, d'émotions, toujours, toujours avide,
Et sans cesse jetant, d'une plaintive voix,
Un nom imaginaire à l'écho des grands bois.
Mais, heureux aujourd'hui . . . . . . . . . . . . . .
J'ai trouvé ce qu'à Dieu tout jeune homme demande;
Sur les bords du grand fleuve enfin je l'ai trouvé
L'ange que tant de fois mon âme avait rêvé!
Février 1838.

A M. ADOLPHE C……

O patrie! ô doux nom que l'exil fait comprendre!
(C. DELAVIGNE.)

Le rivage natal est un si doux lien!
Pourquoi si tout ici surpasse notre envie
De relais en relais tourmenter une vie?
Pourquoi changer quand on est bien?
(MÉRV.)

Un jour tu reviendras, soucieux exilé,
Par le soleil des mers encore tout hâlé,
Portant du voyageur le sceau sur ton visage:
Oh! quand tu reverras, après un long voyage,
Comme un point obscurci se détachant des eaux,
Ta Louisiane aimée et ses mouvans roseaux,
Quand des objets connus de la natale rive,
Un jonc de la savane, un vieux bois de dérive,
Un carrion-crow pesant égaré dans les cieux,
Pour la première fois, viendront frapper tes yeux,
Oh! surtout quand, au loin, comme un arbre qui flotte,
Apparaîtra soudain la barque du pilote,
Quand cet homme attendu, ce rude Américain
Sur les bords du navire apposera sa main,
Et de sa forte voix, de son accent sauvage,
Debout, commandera de suite à l'équipage…
Oh! que de souvenirs feront vibrer ton coeur,
Créole vagabond, nomade voyageur!
Sur la dunette assis, pensif et solitaire,
Comme d'un long regard tu saisiras la terre!
Comme tu salûras d'un hymne de retour,
D'un chant improvisé de filial amour,
Notre grand fleuve saint, aux sources inconnues,
Et ses vierges forêts, et ses savanes nues!
Oh! c'est que nous t'aimons, ô vieux Nil des déserts!
Ton nom seul prononcé fait déborder nos vers!
C'est que si nous souffrons, si notre âme oppressée
Partout cherche l'oubli d'une fixe pensée,
Si notre front s'abat sous le poids des ennuis,
Nous te contons nos maux dans le calme des nuits,
Et comme un père aimant, ô vieux fleuve créole,
Tu sembles écouter et ta voix nous console…..
Hélas! naguère encor, sur ta rive, attristé,
Tu me vis seul, errant pleurant ma liberté,
Pleurant mes jours heureux, l'indépendante vie
Du jeune homme qui court où le pousse l'envie,
L'impérieux besoin, l'instinct capricieux
De voyager, de voir toujours de nouveaux cieux,
Pleurant mes jours passés et mes heures d'étude,
De doux recueillement, de sainte solitude,
Et maudissant l'amour, ce corrosif poison,
Et l'oeil vers l'Orient, fixé sur l'horizon,
Loin de ce grand Paris que mon coeur redemande,
Comme un aigle enchaîné . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Toi seul me consolais, vieux fleuve; à mes sanglots
Tristement répondaient tes sympathiques flots.
Ta paternelle voix endormait ma tristesse.
Et je disais alors: Souvenirs de Lutèce,
Loin de moi! loin de moi! Pourquoi courir les mers?
Se préparer encor tant de regrets amers?
Non!….la raison me dit qu'il est temps d'être sage,
Serai-je donc toujours un oiseau de passage?
Comme l'algue des mers qu'entraîne au loin levent,
Dois-je sans cesse errer sur l'abîme mouvant?
Me verra-t-on toujours, loin de ma Louisiane,
Flotter sur l'Océan, voyageuse liane?
Non!…à mes pins aimés, à mes bayous sans nom,
A Bonfouca me lie un éternel chaînon!
C'est là qu'est le bonheur, là que la vie est douce,
Sous nos beaux chênes verts vêtus de blanche mousse,
Là, jetant aux vains bruits du monde un long adieu,
L'homme dans le désert se rapproche de Dieu!
Ami, c'est au désert où l'instinct me rappelle,
C'est là que je voudrais vivre seul avec elle!
C'est là que je voudrais, loin de tout pas humain,
Bâtir un ajoupa, pour nous deux, de ma main,
Et, sans craindre jamais qu'elle me soit ravie,
Epuiser dans ses bras ma jeunesse et ma vie!

Sur ma tombe, où m'attend l'oubli de tous les maux,
Que l'arbre du désert incline ses rameaux!
Que le plaintif poor-will, la nuit, y fasse entendre
Le monotone écho de son chant triste et tendre
Que, sur ce tertre nu, sans funéraire croix,
Le chasseur indien se repose parfois,
Et, sans respect aucun pour ma cendre qu'il foule
Sommeille, insoucieux de l'heure qui s'écoule!
15 mai 1838.

A M. ANATOLE C…….

Oh Rome, my country! city of the soul,
The orphans of the heart must turn to thee,
Lone mother of dead empires . . . .
(BYRON.)

Rien ne m'allait au coeur comme ces murs pendans,
Ces terrains sillonnés de mâles accidens,
Et la mélancolie, empreinte en cette terre,
Qui ne saurait trouver son égale en misère!
(BARBIER.)

Oh! pour mon coeur souffrant, pour ma tête affaiblie,
Anatole, il faudrait les brises d'Italie!
Sur la lagune bleue, au bruit de l'aviron,
J'aimerais assoupi, comme Goethe et Byron,
Nonchalamment couché dans l'agile gondole,
Entendre un chant lointain qui berce et qui console,
Un chant de gondolier, une voix du midi,
Qui meurt et qui renaît sur le flot attiédi!
Je souffre; il me faudrait, pendant toute une année,
Tes brises, tes parfums, ô Méditerranée!
Le colon pèlerin va reprendre son vol.
Poëte, visitons le poétique sol!
Oh! partons! Je veux voir la ville aux sept collines.
Rome, cité du coeur, des âmes orphelines;
Je veux fouler du pied, toucher avec la main
Les fragmens abattus d'un chapiteau romain;
Je veux voir, à travers les murs du Colysée,
Du soleil qui s'éteint, la lumière brisée;
Sur des débris croulans, pensif, je veux m'asseoir,
A l'heure du repos, du silence, le soir;
Je veux, fils vagabond des forêts du grand fleuve,
Pleurer, sur son tombeau, la métropole veuve,
Et demander à Dieu, dans le calme des nuits,
L'oubli des maux passés et de mes longs ennuis!

Puis, labourant les flots de mon dernier sillage,
Ami, je reviendrai de ce lointain voyage.
Dans sa vierge forêt, le nomade indien,
Bruni par le soleil du ciel italien,
Suivant, à pas pressés, le sentier de l'enceinte,
Secoûra de ses peids une poussière sainte.
Au seuil de ta maison, le coeur tout en émoi,
Il crira haletant: «Ouvrez, ouvrez! c'est moi!»
Et vous écouterez, d'une oreille ravie,
Le pèlerin contant sa poétique vie,
Ces jours où, voyageur, libre de tout lien,
Il cheminait, foulant le sol italien,
Et, le coeur renaissant à la belle espérance,
Visitant tour à Naples, Pise, Florence,
Loin des calmes bayous et des pins toujours verts,
Heureux, il s'enivrait d'amour et de beaux vers.
Oh! laissez-moi partir! Qu'on parle, que m'importe?
Un invisible bras me soulève et m'emporte.
Ami, j'éprouve encor l'impérieux besoin
De voir de nouveaux cieux, de m'égarer au loin!…

Après de longs efforts, on espérait, peut-être,
Dans un moule nouveau repétrir tout mon être!
D'une main sacrilége, on essaîrait en vain
D'effacer de mon front le sceau du doigt divin,
D'extirper de mon coeur la poétique fibre!
Le poëte rugit, s'indigne s'il n'est libre.
Au jour inattendu de la rébellion,
Il arrache du joug sa tête de lion,
Et le poëte saint, à l'âme inasservie,
Retrouve dans les bois l'indépendante vie,
Et chante, tour à tour, dans ma mâle fierté,
Dieu, la belle nature avec la liberté….
Et puis, si tout à coup, un grand aigle qui passe
De ses sauvages cris fait retentir l'espace,
Frappant d'un pied fiévreux la poudre des déserts,
L'oeil fixé sur l'oiseau qui sillonne les airs,
Le poëte s'émeut, il tressaille et s'écrie:
«Vole vers l'Orient…aigle de la patrie!
»Vole vers l'Orient…trance-moi le chemin;
»J'ai des ailes aussi…je te suivrai demain!»
Bonfouca, 22 mai 1838.

L'EXILÉ.

Il s'en allait errant sur la terre. Que Dieu guide le pauve exilé!
(LAMENNAIS.)

Aimer! parole triste, insultante ironie,
Pour qui vit un matin;
Mot fatal et qui n'a d'écho, dans cette vie,
Qu'amertume et dédain!
(A. de LATOUR.)

Je pars…nul écho sur la rive,
Pas un murmure dans les bois;
Pas un bruit de feuille plaintive:
Le will-poor-will même est sans voix.
La Nature semble endormie,
Le front d'un nuage voilé;
Nul souffle sur l'onde assoupie:
Dieu guide le pauvre exilé!

Je pars…adieu, pinière sainte!
Adieu, mes deux cyprès jumeaux!
Adieu, vieux chênes de l'enceinte,
Mélèzes verts, aux frais rameaux!
Caché sous vos voiles de mousse,
Je ne goûterai plus, l'été,
L'ombre et la sieste si douce:
Dieu guide le pauvre exilé!

Je pars…et pour toujours peut-être,
Sans espérance de retour;
Loin des bayous qui m'ont vu naître,
Je fuis, le coeur brisé d'amour.
Des pins la sauvage harmonie
Hélas! ne m'a point consolé;
Il me faut le ciel d'Italie!
Dieu guide le pauvre exilé!

Oui, je veux respirer l'arome
Des mélèzes de Trivoli:
J'irai, sur les débris de Rome,
Chercher le silence et l'oubli.
Tu verses, ô ville éternelle,
Le calme à tout coeur désolé;
Que je m'endorme sous ton aile!
Dieu guide le pauvre exilé!
Bonfouca, 24 mai 1838.

LE VAILLANT.

Though the strained mast should quiver as a reed,
And the rent canvass fluttering strew the gale,
Still must I on…
(BYRON.)

AU CAPITAINE FAVRE.

Oui, le Vaillant a bien accompli son voyage!
Il a franchi le golfe en cinq jours de sillage.
Le Vaillant fait honneur au chantier de Bordeaux:
Ainsi que l'alcyon il glisse sur les eaux.
Oh! comme avec amour, par une nuit tranquille,
J'écoutais son doux bruit d'harmonieuse quille,
Ce bruit qui fait rêver, assoupissant écho,
Soit qu'il cinglât vainqueur en face d'Abaco,
En de moins tièdes flots baignant ses flancs arides,
Soit qu'il bondît, doublant le long cap des Florides!
Et puis, quand vers le nord dans sa course emporté
Mon vaisseau fut soudain par l'ouragan heurté
De front, à la hauteur des bancs de Terre-Neuve…
Oh! comme, avec vigueur, il subit cette épreuve!
A la cape, trois jours, sur la vague affermi,
Comme un oiseau des mers, il semblait endormi.
Sur le pont ruisselant, debout, calme poëte,
J'aimais ce souffle aigu, ces cris de la tempête.
A mon coeur épuisé, triste, chargé d'ennuis,
Océan, il fallait tes orageuses nuits!
Lorsque ta grande voix s'élève solitaire,
Tu nous verses la paix et l'oubli de la terre!…

Mais l'orage a cessé…Chantez, gais matelots!
Poursuis, poursuis, Vaillant, ta course sur les flots,
Vogue avec majesté sur les vagues sonores.
Courage, mon vaisseau! nous touchons aux Açores;
Courage! Il ne faut plus qu'un vigoureux élan…
Terre! terre! Je vois la tour de Cordouan
Se dressant dans les cieux, immobile colonne.
Étreins, avec amour, ta mère la Garonne!
Dans ses bras assoupi, tu peux, ainsi qu'un Dieu,
Rentrer dans ton repos. Adieu, Vaillant, adieu!
Bordeaux, 8 juillet 1838.

A MADAME ***.

Je me voyais enfant, heureux comme autrefois,
Et malgré moi des pleurs étouffèrent ma voix.
(V. HUGO.)

Monsieur!…Et c'est ainsi qu'on accueille, Madame,
Un ami du passé!
Monsieur!…Oh! ce mot-là brise, contriste l'âme,
Le coeur en est glacé.

J'attendais mieux de vous; oui, j'espérais qu'Adèle
Se souviendrait encor
Des jours où je lisais, assis à côté d'elle,
Enfant, dans l'âge d'or.

Mais le passé n'est plus hélas! qu'une ombre vaine;
Mais l'oubli, je le vois,
Des jours évanouis efface chaque scène,
Etouffe toute voix.

L'oubli, de votre coeur, a dissipé sans peine,
Après quelques saisons,
Cette sainte amitié qui, d'une douce chaîne,
Liait nos deux maisons.
Paris, juillet 1838.

AMAZILIE.

Oh! that the desert were my dwelling place
With one fair spirit for my minister,
That I might all forget the human race,
And hating no one, love but only her!
(BYRON.)

Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années,
Pour m'avoir fui si vite et vous être éloignées,
Me croyant satisfait?
Hélas! pour revenir m'apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait?
(V. HUGO.)

A M. EUPHÉMON L…………….

Ami, la nuit, souvent, aux heures d'insomnie,
Quand je rêve attristé,
Des lointains souvenirs le mystique génie
S'assied à mon côté.

Des savanes, des pins, des ondes du vieux fleuve
J'entends la grande voix,
Et mon âme renaît à la vie et s'abreuve
Aux sources d'autrefois,

A ce passé lointain de la belle jeunesse
Qui ne laisse, après lui,
Que désenchantement, amertume, tristesse,
Immense et morne ennui.

A mes yeux éblouis mille beautés créoles
Apparaissent en choeur:
L'imaginaire écho de leurs douces paroles
Fait tressaillir mon coeur.

Une surtout…Hélas! ami, qu'elle était belle
Quand je la vis, un soir!
Quels doux rayons tombaient de la vive prunelle
De son limpide oeil noir!

Je me disais: C'est là ma créole inconnue,
La femme de mes voeux!
Dans mes songes d'amour je t'avais entrevue,
O vierge aux noirs cheveux!

Oh! que ne puis-je vivre avec toi, solitaire,
Près d'un bayou sans nom,
Et là, réaliser, une fois sur la terre,
Le rêve de Byron!

Que ne puis-je…Le Temps a fait un pas…Sa vie
A coulé comme l'eau.
Sous le saule qui pleure, on lit: «Amazilie,»
Au marbre d'un tombeau
Paris, juillet 1838.

A MADEMOISELLE N. D., DE NANTES.

Frêle oiseau qu'emportait, au hasard, la tempête,
Loin des tièdes climats,
Lorsque mon aile était à faiblir toute prête,
J'aperçus un trois-mâts.

D'un vigoureux effort, je m'élance, je vole
Aux vergues du vaisseau,
Et j'y dors, comme si de la forêt créole
C'était un arbrisseau.

Le navire grondant en trente jours arrive,
M'emportant endormi:
Je m'éveille…ô bonheur! c'est le ciel, c'est la rive,
Le port d'un peuple ami!

Et tout émerveillé de ce lointain voyage,
Abreuvé d'un air pur,
D'une aile indépendante, au-dessus du nuage,
Je me perds dans l'azur;

Dans l'espace sans fin, comme dans mon domaine,
Libre d'un long repos,
De l'un à l'autre bout du ciel je me promène
Et plane sur les flots;

Et puis je redescends de l'abîme des nues,
Sur de rians coteaux,
Mêlant un cri sauvage à des voix inconnues
D'harmonieux oiseaux;

Et de bonheur ému, sur la rive étrangère,
Oublieux exilé,
Loin des bayous aimés de ma belle pinière,
Je semblais consolé;

Et tout me souriait…je me sentais à l'aise,
Hôte d'un nouveau sol,
Quand soudain, à mes yeux apparaît d'un mélèze
Le lointain parasol…

Je tressaille…et tendant mes deux ailes rapides,
D'extase transporté,
Je vole au dôme vert de l'arbre des Florides,
Du Bayou-Liberté!

Et j'aspire, enivré, son parfum de résine,
Haletant, éperdu,
A son feuillage aimé qui mollement s'incline
Je reste suspendu!

Il me semble revoir ma belle Louisiane!
Bercé d'un songe vain,
Je crois dormir encor sur la verte liane,
A l'ombre du ravin…

Et puis…mon front retombe, avec mélancolie,
Comme un roseau mouvant,
Comme une fleur des bois qui se penche, qui plie
Sous l'haleine du vent.

Et je rêve attristé!…plus rien ne me console.
Mélancolique oiseau,
Je semble, aux pieds de l'arbre, où mourant je me'isole
Implorer un tombeau.
Paris, juillet 1838.

A M. ADOLPHE C…

Répète-moi que ton affection m'a suivi partout, et qu'aux heures de découragement où je me croyais seul dans l'univers, il y avait un coeur qui priait pour moi.
(G. SAND.)

Merci, frère, merci, fils des forêts créoles!
L'harmonieux écho de tes douces paroles,
Comme un rhythme divin, un chant des cieux tombé,
Berce, assoupit le coeur d'un frère en Mastabé.
Merci!..Ta voix, frappant mon oreille ravie,
Calme, apaise mon âme et me rend à la vie.
Oh! viens, ami de coeur, ami dès le berceau,
De ta pieuse main, émonder l'arbrisseau
Qu'au sol de l'étranger a jeté la tempête:
Viens, poëte jumeau, consoler le poëte;
Viens vite, je t'attends; viens rendre la gaîté
A ce front d'un nuage éternel attristé.
Oh! viens; calmes, assis aux fraîches Tuileries,
Dans la riante allée, aux pelouses fleuries,
Nous chanterons, tous deux, ces bois que nous aimons,
Cette brise des pins qui manque à nos poumons,
Les bords du Bonfouca, les rives du Lacombe…
Oh! qu'en ces lieux aimés Dieu nous garde une tombe,
Un tertre nu, sans nom, sous quelque ombreux abri
Des pins de Dubuisson, de Paul ou de Loubri!
Que près d'une ravine, une yeuse isolée
De ses voiles pendans couvre mon mausolée!
Que tous les habitans, armés de tanampos,
M'accompagnent, pensifs, vers le champ de repos,
Et des salves d'adieu frappent le coin de terre
Où, pour toujours, je dois sommeiller solitaire!…
Ah! s'il fallait mourir sous les cieux de l'exil,
Loin des calmes bayous où chante le poor-will,
Loin du magnolia, du résineux mélèze,
Ne m'abandonnez pas au vieux Père-Lachaise!
Non!..créoles pieux, religieux amis,
Par pitié! recueillez mes restes endormis.
Au centre d'un navire, amis, faites descendre
Comme un surcroît de leste, ma poétique cendre:
Qu'au murmure sans fin de l'orchestre des flots,
Qu'aux longs soupirs des vents, qu'aux chants des matelots,
Qu'au bruit harmonieux, de l'enivrant sillage,
Même au cercueil encor le poëte voyage!
Paris, juillet 1838

A M. ANATOLE C…..

L'espoir que des amis pleureront notre sort
Charme l'instant suprême et console la mort.
Vous-mêmes choisirez à mes jeunes reliques
Quelque bord fréquenté des pénates rustiques,
Des regards d'un beau ciel doucement animé,
Des fleurs et de l'ombrage et tout ce que j'aimai.
(André CHÉNIER.)

Oh! quand pourrai-je encor, pensif et recueilli,
Sous tes tièdes chêneaux, couché sur l'établi,
Sybarite colon, dans ma pinière aimée,
D'un cigare de Cube aspirer la fumée?

Sous les rameaux en deuil de l'yeuse isolée
Je m'assieds recueilli;
Au murmure des pins mon âme inconsolée
Demande en vain l'oubli!…

Oh! qu'ils sont loin mes jours d'insoucieuse vie,
A l'ombre des grands bois,
Quand mon coeur débordait d'amour, de poésie,
D'espérance à la fois!

Quand, relisant toujours Béranger, Lamartine,
Sainte-Beuve, Byron,
Buvant la poésie, à sa source divine,
Dans ma forêt sans nom,

J'allais errant, bercé de molles rêveries,
Sans suivre aucun chemin,
Ecoutant, arrêté, la caille des prairies,
Loin de tout pas humain,

Ecoutant les soupirs de la savane nue,
Les plaintes du roseau,
Et me désaltérant à la source inconnue
Où s'abreuve l'oiseau,

Et le soir, revenant, quand le soleil qui tombe
Nous jetant un adieu,
Colore des grands pins, des cyprès du Lacombe
La chevelure en feu,

A l'heure où l'on entend la voix sonore et gaie
Du nègre sans soucis
Qui chante, en agitant une rauque pagaie,
Dans sa pirogue assis…

Il chante…La chanson vibre au loin dans l'espace:
On dirait un oiseau!
La pirogue bouillonne, écume, glisse et passe
Comme un poisson sous l'eau…

Il chante…et par degrès, dans le ravin sonore
La lointaine chanson
Expire…L'habitant rêve, écoutant encore,
Quand meurt le dernier son…

Ils ne sont plus ces jours!…Loin de la Louisiane,
Par le destin jeté,
J'erre souffrant…L'amour à l'exil me condamne.
O Bayou-Liberté,

Bayou qu'a baptisé le sauvage idiome,
Solitaire ruisseau,
O pins dont, tout enfant, je respirais l'arome,
Chênes de mon berceau,

Pontchartrain, lac sacré, recevez du poëte
Le solennel adieu!
Je meurs, je vais enfin d'une vie inquiète
Me reposer en Dieu!
(Paris, juillet 1838).

A M. AMÉDÉE D…..

Oublions! oublions! quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l'emporte.
(V. HUGO.)

Sur la vieille cité quand un lourd brouillard pèse,
Oh! que de fois, ami,
L'imagination, sous le tiède mélèze,
Me ramène endormi!

Quand pourrai-je, avec toi, fumant le trabucco(20).
Du rhythme alexandrin faire vibrer l'écho,
Ayant en main un livre où notre âme s'abreuve,
D'Hugo, de Lamartine ou bien de Sainte-Beuve?
Voyageur fatigué, quand pourrai-je?…Mais non!
Je ne dois plus revoir nos savanes sans nom.
Dans la plaine de Paul je ne dois plus descendre.
Loin du lac Pontchartrain reposera ma cendre.
Au sol de l'étranger, sous quelque tertre nu,
Le créole exilé va dormir iconnu:
Nul ne viendra pleurer à genoux sur sa tombe…
O pins de Bonfouca, vieux cèdres du Lacombe,
Silencieux déserts où l'âme écoute Dieu,
Cyprès, ravins, bois-forts, nature sainte, adieu!
Adieu, frères jumeaux Adrien, Anatole!
Votre doux souvenir, en mourant, me console.
Oh! tous les deux, assis sous les copalmes verts,
Répètez, en pleurant, quelques uns de mes vers!
Tous les deux abrités à l'ombre du mélèze,
Oh! pensez quelquefois au vieux Père-Lachaise,
A cet asile saint, où dorment enfermés
Les restes d'un ami qui vous a tant aimés!
Mais non!…En vous j'ai foi, religieux créoles:
Vous avez recueilli mes dernières paroles.
Tous, vous m'avez promis qu'un rapide trois-mâts
M'emporterait encor vers nos tièdes climats,
Tous, mourant, vous avez consolé le poëte,
En lui jurant qu'un jour sa poussière muette,
Sous le vert parasol du sablonneux tiac(21),
Sommeillerait tranquille, à l'autre bord du lac!

A vous, poëtes, donc, Adrien, Anatole,
Le soin de me choisir, dans la forêt créole,
Sous les chênes connus de Paul ou de Loubri,
Le tertre du repos, le tumulaire abri!

Oh! vienne, au point du jour, sur ma tombe arrosée
Des nocturnes torrens de la blanche rosée,
L'harmonieux moqueur, le rouge cardinal
Faire vibrer l'écho de leur chant matinal!
Oh! que surtout, le soir, le will-poor-will que j'aime
Y soupire ce chant triste, toujours le même
Qui s'élève plaintif, dans le calme des nuits,
Et le l'âme souffrante apaise les ennuis!
Paris, juillet 1838.

LE JARDIN DES PLANTES.

C'est le grand réservoir où toute vie abonde,
Le verdoyant congrès des arbustes du monde,
Où tout homme qui rêve à son pays absent
Retrouve ses parfums et son air caressant.
(BARTHÉLEMY et MÉRV.)

A M. JULES M……

LE CHEVREUIL DE LA LOUISIANE.

Quand un voile brumeux enveloppe Lutèce,
Quand mon front obscurci s'incline de tristesse,
Comme un arbuste frêle où soupire le vent,
Ainsi que par instinct, ami, je vais souvent,
Longeant les boulevards, jusqu'au Jardin-des-Plantes:
Là, les heures d'exil, pour moi, coulent moins lentes,
Là, comme à Bonfouca, sous les mélèzes verts,
Soucieux, je m'isole et compose des vers,
Et, tout en relisant Byron ou Sainte-Beuve,
J'erre, par la pensée, aux déserts du vieux fleuve;
Solitaire, j'écoute, incliné sur les eaux,
Son murmure sans fin d'harmonieux roseaux,
Ces bruits mystérieux des lianes plaintives,
Des longs cyprès voilés qui pleurent sur ses rives,
Poëte insoucieux, sans suivre aucun chemin,
Sur les ondes bercé, la pagaie à la main,
Ainsi qu'un bois flottant, au souffle de la brise,
Je laisse dériver ma pirogue indécise,
Et, l'oreille attentive à de lointains accords,
Les yeux clos à demi, je rêve et je m'endors…

Et puis, quand au couchant un dernier rayon brille,
Quand du riant jardin on va fermer la grille,
Avant que de partir, d'un signe, d'un coup d'oeil,
D'un geste ami, je vais saluer le chevreuil,
Innocent orphelin que le destin condamne
A vivre, comme moi, loin de la Louisiane,
Loin des vierges forêts du vieux Michasippi….
Captif dans un enclos je le vois assoupi;
Ainsi qu'au bois natal, il sommeille tranquille:
Et moi, près de l'enclos, haletant, immobile,
Comme un père penché sur un fils au berceau,
Je l'observe endormi sous le frais arbrisseau.
Oh! que ne puis-je, hélas! exilé solitaire,
Paisible, à son côté, m'étendre sur la terre,
Et calme, insoucieux, sommeillant comme lui,
Un instant déposer le poids d'un long ennui!
Ou plutôt que ne puis-je, heureuse créature,
Le rendre à la forêt, à la belle nature,
Et dans quelque désert vierge de pas humain,
Vivre seul avec lui, le nourrir de ma main,
En faire un compagnon, un fils, une maîtresse,
L'environner d'amour, de soins et de tendresse,
Le suivre pas à pas, boire aux mêmes ruisseaux…
Sous les lataniers verts, au bord des grandes eaux,
Ainsi que Jocelyn à côté de Laurence,
Près de lui m'endormir…, ivre de sa présence,
Le caresser, l'aimer comme on aime une soeur,
Hardi, le protéger contre l'adroit chasseur,
Et dire à l'Indien: «Qu'ici ton arc s'arrête!
Qui touche à ce chevreuil m'en répond sur sa tête!»
(Paris, août 1838.)

A M. ANATOLE C….

O mes Dieux lares! Dieux amis que j'ai appelés avec des larmes du fond des lointaines contrées, du sein des orageuses passions!
(G. SAND.)

Ami, souvent, debout aux tours de Notre-Dame,
Sombre comme Frollo,
En des songes sans fin je laisse errer mon âme,
Comme un esquif sur l'eau,

Quand la brise des nuits qui fraîchit et s'élève
L'entraîne mollement,
Que le frêle lien qui l'attache à la grève
Cède insensiblement.

Un brouillard épaissi recouvre, comme un voile,
La grondante cité.
Je contemple, au lointain, le grand Arc de l'Étoile,
L'Obélisque attristé

Dont le fût pluvieux, comme un cratère fume,
Et dans les cieux se perd:
Il semble regretter, sous un linceul de brume,
Le soleil du désert.

Potavéri créole, exilé solitaire,
Sous un ciel obscurci,
Fils d'une zone en feu, d'une brûlante terre,
J'ai froid…je souffre aussi…

Hélas! il fut un temps où, pèlerin poëte,
Au sortir du vaisseau,
Je retrouvais toujours, pour abriter ma tête,
Au sol de mon berceau,

Une vieille maison que le nègre a couverte
De sa calleuse main,
Un toit usé qui tombe et croule, où l'herbe verte
Laisse errer son gramen.

Sous un grand pacanier où, dans l'épais feuillage,
Roucoule le pigeon,
Calme, je m'étendais, après un long voyage,
Sur la natte de jonc;

Heureux, comme animé d'une nouvelle vie,
Sentant bondir mon coeur,
J'écoutais haletant, d'une oreille ravie,
La flûte du moqueur,

Les bruits, les mille voix de la forêt voisine
Dont s'ébranle l'écho,
J'aspirais enivré l'arome de résine,
Fumant le trabucco,

A la Création, qui me chante et me fête
Jetant avec amour,
Dans un rhythme fiévreux, effervescent poëte,
Un hymne de retour…

Oh! qui peindrait la joie et cette ivresse sainte
Qui pénètrent mes sens,
Quand j'étreins, attendri, chaque arbre de l'enceinte
Des mes bras caressans!

Alors qu'errant, pensif, à pas lents, dans la plaine,
Enfin j'ai retrouvé
L'yeuse où tant de fois, le coeur chargé de peine,
Tout enfant j'ai rêvé!

Et puis, interrompant ma longue rêverie,
Et revenant, le soir,
Près d'un vieil oncle assis devant sa galerie
Quel bonheur de m'asseoir!

Puis, dans la verte allée, où l'on suspend la seine,
Calme, me promenant,
Quel bonheur d'écouter une chanson lointaine!…
Hélas! et maintenant,

Loin des bayous aimés de ma sainte pinière
Le malheur me bannit:
Le loup et le renard ont tous deux leur tanière,
L'oiseau du ciel un nid,

Mais moi, triste orphelin, infortuné poëte,
Ainsi que l'Homme-Dieu,
Je n'ai pas une pierre où reposer ma tête!..
Ami, je meurs…adieu!

Adieu, frère jumeau!..Dans ta fraîche presqu'île,
Oh! puisses-tu toujours,
Comme un ruisseau sans nom dans un désert tranquille,
Voir s'écouler tes jours!
(Paris, septembrer 1838.)

LE RUBICON Is there a man of soul so dead,
Who never to himself hath said:
This is my own, my native land!
(W. SCOTT)

A M. ALFRED M…..

Adieu, frère créole, ami d'enfance, adieu!..
Vogue sur l'Océan, à la merci de Dieu!
Comme un coursier sans frein qui jette un cri sauvage,
Le Rubicon bondit, cingle loin du rivage.
Adieu, frère créole, une dernière fois!..
Mais la brise grondante éteint, couvre ma voix.
De mille émotions l'âme tout agitée,
Je te suis du regard, debout sur la jetée,
Je te salue encor d'une tremblante main…
Mais le navire est sourd et poursuit son chemin.
Comme un oiseau des mers qui tend son aile blanche
Il vole, il fuit, d'un bond il a franchi la Manche…
Oh! que ne puis-je aussi, sur l'agile trois-mâts,
Comme toi, m'élancer vers nos tièdes climats,
Et, comme toi, le coeur débordant d'espérance
Et de vie, et d'amour, abandonner la France,
Et saluer encor le grand Meschacébé,
Ce Gange des déserts qu'invoquait Mastabé…
Oh! quand du fleuve saint enfin on se rapproche,
Entre le cap Antoine et le cap de Catoche,
Quand le vaisseau grondant, fugitif Alcyon,
Sur le golfe houleux projette un blanc sillon,
Lorsque, voile tendue, incliné sous la brise,
Le navire franchit les bancs de la Balise,
Et qu'on voit, à travers le brouillard pluvieux,
Apparaître les joncs mouvans du fleuve vieux,
Sur ces flots où voguaient d'indiennes nacelles,
Quand le steam-boat vomit ses rouges étincelles…
Comme d'émotion, de bonheur étouffant,
Dans un passé lointain on se revoit enfant!
Oh! comme alors le coeur s'inonde de tristesse!...
Heureux alors, heureux l'exilé de Lutèce.
Qui, l'âme émue, attend, au sol de son berceau,
Les baisers d'une mère, au sortir du vaisseau!

LE SOUVENIR.

Je le sens, pour une âme tendre,
Un amour malheureux est encore un bonheur.
(DESBORDES VALMORE.)

AU MÊME.

La vierge, ange des cieux, qui dorait notre vie,
Dans un jour de malheur peut nous être ravie:
Mais ce qui ne fuit pas, mais l'éternel trésor
Que l'on garde en son coeur, dont on s'enivre encor,
Mais ce qui reste, alors que l'on perd une femme,
Loin d'elle, dans l'exil, ce qui console l'âme,
Ce qu'à nous enlever, on ne peut parvenir,
Ce qui survit à tout…Oh! c'est le souvenir!
D'un passé qui n'est plus c'est le reflet fidèle,
Ce sont ces jours si doux qui s'écoulaient près d'elle,
C'est le naissant amour et les premiers aveux,
Les projets d'avenir, alors qu'on cause à deux,
Le bonheur d'écouter une molle romance,
De lui dire, les yeux humides: «Recommence!»
Et près de son piano, haletant et sans voix,
De l'une à l'autre touche ouïr glisser ses doigts;
Ce qu'en ses rêves d'or retrouve le poëte,
C'est un front chaste et pur rapproché de sa tête,
Alors que tous deux seuls, et la main dans la main,
On s'entretient d'amour et du prochain hymen;
C'est un rien, un sourire, un geste, une parole…
Oh! si jamais, jeune homme, une vierge créole,
Après t'avoir aimé de son premier amour,
Par caprice, ou dédain, ou défiance, un jour,
Craignant pour son bonheur, sans pitié te délaisse…
Oh! le coeur défaillant, épuisé de tristesse,
En voyant tout à coup tes beaux songes périr,
Tu maudiras la vie et tu voudras mourir!
Et, ne retrouvant plus, dans ta douleur amère,
Pour consoler tes maux l'amour saint d'une mère,
A la terre jetant un éternel adieu,
Pour toujours, tu voudras te reposer en Dieu.
Mais comme un angè pur et que Dieu nous envoie,
Pour soutenir nos pas dans une sombre voie,
Aux heures d'agonie oh! tu verras venir
Pensif, à ton chevet, s'asseoir le souvenir.
Et si l'orgue, à travers ta morne rêverie,
Te jette un air connu…muet, l'âme attendrie,
Dans ton coeur écoutant s'éveiller mille voix,
Harmonieux écho des songes d'autrefois,
Pleurant, tu t'écrîras, en relisant Valmore:
«Un amour malheureux est un bonheur encore!»
(Paris, octobre 1838.)

LA FÊTE DES MORTS.

Invideo, invideo quia quiescunt.
(LUTHER.)

A M. ADRIEN R.

Le soleil pâlìssant du pluvieux automne
A l'humide horizon d'un ciel terne et blafard
S'éteint; et sur Paris, océan qui bourdonne,
S'abaissent, en tous lieux, des trombes de brouillard.

Seul errant au hasard, la tristesse dans l'âme,
D'un oeil morne et glacé, j'observe tour à tour,
Ainsi qu'un brick géant en panne, Notre-Dame
Dans la nue enfouie avec sa double tour,

L'immense Panthéon dont ruisselle le dôme,
L'Institut ardoisé d'où tombe et filtre l'eau,
Et le grave Empereur, sur la place Vendôme,
Debout, comme autrefois dans la brume d'Eylau.

Sous les arbres pleurant dans l'atmosphère grise,
Au désert Luxembourg, solitaire, rêvant,
Je m'arrête inquiet, j'écoute….chaque église
Mêle son glas funèbre aux longs soupirs du vent.

C'est la fête des Morts!… Pensif je me recueille
Au banc de pierre assis, et le front dans la main:
Hélas! arbres d'un jour et que le temps effeuille,
Nous semons de débris son lugubre chemin!

C'est la Fête des Morts!…Que je vous porte envie
O Morts! dormez, dormez dans l'éternel repos;
Dans le port abrités, naufragés de la vie,
Dormez; à nous encor la tourmente et les flots!

Qu'importe? Relevons nos fronts calmes, tranquilles!
Par l'ouragan bercés, prions silencieux;
Sur l'orgeuse mer laissons courir nos quilles:
Un rayon brille au loin…c'est le phare des cieux!

Que de l'humanité l'aventureuse flotte
Sur l'abîme grondant cingle avec majesté!
Courage, matelots! Dieu nous sert de pilote:
Un jour nous jeterons l'ancre à l'Éternité!
(Paris, 2 novembre 1838.)

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