Comparaison entre "La Marseillaise" de R. de Lisle
et "La Marseillaise Noire" de Camille Naudin

par Danièle Harris


Le mot d'ordre français résumant l'idéal pour lequel tant d'hommes périrent, s'énonce en trois mots: Liberté, Égalité, Fraternité. Ces paroles, inscrites sur les monuments publics, gravées dans les mémoires, résonnent dans les deux chants que nous allons considérer: d'une part, "La Marseillaise," écrite par un Français, Rouget de Lisle, d'autre part, "La Marseillaise Noire," de Camille Naudin, Créole de couleur d'origine louisianaise.

À la veille de la Révolution française, Rouget de Lisle remonte de Marseille vers Paris, accompagné d'un groupe de révolutionnaires; tous décidés à renverser le régime monarchique absolu qui régna la France durant plusieurs siècles. Ses compagnons d'armes, prêts à sacrifier leur propre vie pour la liberté, crient vengeance en adoptant "La Marseillaise" comme chant de ralliement.

Presque un siècle plus tard, sous d'autres cieux, un poète dédie à une cause non-moins terrible—celle de l'esclavage des Noirs par les Blancs)—un chant d'unité, un appel à la Fraternté. En reprenant la musique composée par R. de Lisle, C. Naudin intitulera "son chant de paix" "La Marseillaise Noire."

Considérant brièvement la composition des deux textes nous pouvons relever quelques similarités au niveau de la forme:

La Marseillaise

-7 strophes (8 vers chacun)
-un refrain de 5 vers
-vers octosyllabiques pour la plupart
-succession de rimes croisées, embrassées, suivies
-le schéma des rimes: ababcddc
-le schéma des rimes du refrain: effgf

La Marseillaise Noire

-5 strophes (8 vers chacun)
--un refrain de 2 vers suivis
-vers octosyllabiques pour la plupart
-succession de rimes croisées,
embrassées, suivies
-le schéma des rimes: ababcddc
-le schéma des rimes du refrain: ee

Idéologiquement, les deux textes adressent la même pensée: celle de rallier les "citoyens, les travailleurs, et les frères" pour conquérir la Liberté, l'Ègalité, et la Fraternité déniées, et ce faisant, de mettre fin aux abus causés par une classe sociale contre une autre. Le message transmis par chaque chant nous révèle cependant une manière tactique bien différente de parvenir à cet idéal. R. de Lisle harangue véhémentement ses compatriotes, ravivant leur haine contre la tyrannie de "la horde de traîtres, de rois conjurés" (v.15). Il les attise contre "ces cohortes étrangères" (v.22), "ces phalanges mercenaires" (v.24), et ces "vils despotes" (v. 28). Il désire rompre le joug de l'esclavage du peuple, imposé par les rois, et mettre fin aux "projets parricides" (v.33) de l'ennemi. Il réclame "vengeance" pour le sang versé des "jeunes héros (v.35), " des fils et des compagnes égorgées" (v.8)—vengeance inscrite dans le sang des "perfides tyrans" (v. 30).

Chaque strophe, chaque phrase est teintée de mots guerriers, violents, destinés à exciter la furie des "Français, guerriers magnanimes'(v.38). La portée de chaque vers, elle aussi, est renforcée à maintes reprises par de nombreuses interjections: "aux enfants de la Patrie" (v. 1). Les points d'interrogations et d'exclamations ponctuant 15 vers, ne nous rendent cet appel aux armes que plus vibrant. Pour couronner cette vision funeste, le refrain nous renverra 7 fois l'écho haineux réclamant "le sang impur" de l'ennemi pour abreuver les sillons de la France—proclamation ironique faite au nom de "l'amour sacré de la Patrie" (v. 54). Ce cycle de violence recommencera sans espoir de se rompre car si les jeunes héros tomberont au combat, "la France en [produira] de nouveaux, […] tous prêts à se battre" (v. 35-37).

Un écho bien différent retentit de "La Marseillaise Noire, chant de paix," composé par Camille Naudin. Son appel à la paix, à la réconciliation, l'auteur le lance aux "fils d'Africains" (v. 1), eux aussi "tristes victimes, qu'un joug absurde abrutissait" (v. 2). Malgré ce joug de l'esclavage qui avait emprisonné sa race, il invoque le pardon et dénonce ce désir de "mort, de sang, de vengeance" (v. 38), comme "l'impie ignorance, arme terrible du tyran" (v. 35-36); il fait appel à la raison humaine, à l'intelligence, à l'esprit" (v. 26-27), et au message de l'Évangile chrétien et humanitaire. (v. 3, v. 32). Ce message proclame que ce n'est plus "la peau qui fait l'homme" (v.28), mais que chaque travailleur reçoive à part égale, le prix de son effort parce que "le pain qu'il a gagné, qu'importe sa couleur" (v. 9-10). Les 5 répétitions du refrain rendront encore plus puissante cette soif de respect, d'entente et de tolérance. Cette vision salutaire et propice doit être partagée par chacun et requiert l'unité de tous. Seulement alors pourront vibrer les mots Égalité, Fraternité, Liberté.

Le message de R. de Lisle, réaffirmant les droits primordiaux de l'Homme—le désir de défendre la Patrie au prix de la guerre—se voit surpassé par le souhait humaniste de Camille Naudin, visionnant "chaque peuple heureux, prospère, au fronton de l'humanité" (v. 45). L'Espoir est alors possible: "Tu régneras, Égalité" (v.47).

Exercice de vocabulaire:

Dans les deux textes, relevez les mots se rapportant:

—à l'oppression et à l'opprimé
—à la guerre et à la paix

Recherchez les similitudes, les contrastes, les répétitions de mots d'un poème à l'autre.

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