Poésies
May Rush Gwin Waggoner
Cuisses de grenouille
Sois sage, m’a dit ma mère.
C’est un restaurant très chic dans un hôtel élégant
downtown Atlanta
tu mettras ta plus jolie robe
ce sera une aventure pour une fille de 8 ans
le serveur t’appellera mademoiselle
et il y aura des fleurs sur la table
pas les roses du jardin de Papa
mais des fleurs exotiques et extravagantes
que tu n’as jamais vues
C’était l’Oncle Guy et Tante Lucile
qui nous offraient ce festin
pour célébrer notre visite à Atlanta
l’Oncle Guy sentait la pommade et le tabac et parfois le whisky
tante Lucile toujours souriante dans une robe de taffetas
qui chuchotait quand elle passait
Alors j’ai été sage
je n’ai pas renversé mon verre
et j’ai commandé des cuisses de grenouille
— tu es sûre que tu ne veux pas prendre le poulet?
— non, les cuisses de grenouille
mon frère et moi rougissions devant les anthuriums indécents
une jolie femme aux lèvres très rouges
dans une jupe trop courte
a pris une photo
moi fière de mes cuisses de grenouille
homards fermes et fumants
entrecôtes bleues au centre
orchidées aux gorges pourpres
toute la famille souriante
avec l’oncle et la tante sophistiqués
Ce soir-là
comme tous les soirs
l’oncle Guy traitait Tante Lucile si élégamment
que le lendemain
elle boitait
et à l’âge de huit ans j’ai constaté
que
le matin
les femmes riches et sophistiquées
devaient toutes porter
des manches longues
et des lunettes de soleil
Plante des pieds
après une journée fatigante dans le jardin
la plante du pied me démange
maudites moustiques
j’y touche
le pied de ma grand-mère
je l’ai massée à l’hôpital
quand elle avait mal
pied inutile puisqu’elle ne courait plus
ne marchait guère
dans son jardin
où moi j’ai commencé à marcher
jacinthes pourpres comme le crépuscule
lys comme personne n’en avait
les narcisses surchargés d’odeurs qui me donnaient mal
à la tête
un cognassier plus grand que moi
maintenant devenu plus petit
comme le jardin
comme elle
j’ai son nom et son esprit me dit-on
elle m’aime avec férocité
mais elle ne répond plus à ma voix
je la masse tout de même cette plante de pied
mes doigts la retiennent
au printemps la douceur de l’air ouvrait l’esprit
le premier mai elle me laissait aller pieds nus
dans la douceur verte
l’odeur du gazon fraîchement tondu
je masse les pieds en somnolant
juste une petite odeur des narcisses
douce
et elle s’en va
Lascaux
au-dessus de nos courbes fières
le vent hurle sa détresse glaciale
mais sous la voûte de notre temple
nous rêvons pâturages
nuages
air qui bouge
l’air sacré chauffe nos bosses
queues et cornes alignés
gorges pleines de lumière
ocre et or
nous répandons
une énergie insoutenable
nourris de notre courage
les vainqueurs oubliés
dorment à côté de nous
les os en poussière
Tenez bon mes frères!
La proie survit au chasseur
Nous Sommes.
dernier feu
il fait froid ce soir
mais le givre n’impose plus son autorité
je mets un morceau de bois
sur le petit feu dans la cheminée
le beau printemps présage un été brutal
tant que la douce flamme existe
la chaleur n’entrera pas
comme les feux de joie druides repoussaient les démons
la flamme avide accepte cette offrande
les chaleurs sautent joyeusement
de temps en temps une étincelle s’éprend du ciel
et brûle de monter au paradis
l’étoile Supernova sacrifie son feu et
son éclat
le feu danse son dernier tango
je divine les êtres dans les flammes
le dernier souhait du feu mourant
qui s’en va comme l’oiselet
qui part avide d’aventure
je ferme les yeux
ces jours-ci
mes systèmes s’éteignent
fin de saison soldes monstres
ce n’est plus la promotion spéciale de tous les mois
mais une liquidation totale
le feu de désir devenu des chaleurs
qui me réveillent Supernova
je me réveille dans l’obscurité
froide
entre un chat qui ronronnent et un chat qui ronfle
même le feu qui éloigne les démons
doit mourir un jour
l’étoile s’écroule sur lui-même
le feu s’endort jusqu’à novembre
la saison est finie
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