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MILA ou LA MORT DE LA SALLE Drame En trois actes et en vers par C.-O. Dugué Nouvelle-Orléans, IMPRIMERIE DE J. L. SOLLÉE 1852 Personnages
La Salle…………….Oncle de Morangie Scène 1 - Scène 2 - Scène 3 - Scène 4 - Scène 5 - Scène 6 - Scène 7 - Scène 8 La scène représente, à gauche des acteurs faisant face au parterre, La Grande Cabane, palais du Grand Soleil, où habitent Tello et Mila. Entre la Grande Cabane et les spectateurs, un gros magnolier, sous lequel est assise Mila, tressant une natte de jonc. Derrière, dans le lointain, les tentes des Blancs groupées autour de celle de La Salle, sur laquelle flotte le drapeau français. À la droite des acteurs faisant face au parterre, un bois, qui se plonge en empiétant sur l’espace que l’œil embrasse entre les deux côtés de la scène. Au lever de la toile on voit venir, derrière Mila, Liotot; il marche avec précaution, comme pour la surprendre. Ô Mila! ta main tresse un nid pour tes amours! Mila. Oh! non, pour toi je ne fais rien!
Je te hais dans mon cœur; car je te connais bien! Mon œil perçant a vu dans le fond de ton âme Que tu ne saurais pas aimer vraiment la femme: Tu voudrais pour un jour la presser dans tes bras, Et puis l’abandonner, comme font les ingrats!
Non, non, c’est pour toujours!
Mila, le repoussant.
Oh! laisse-moi, te dis-je!
Un souvenir bien noir en ce moment m’afflige.
Liotot.
Ah! toujours Morangie!
Oui, je pleure sur lui:
Hélas! il eût été mon époux, mon appui; Je l’aimais. Liotot, avec une rage concentrée.
Tu l’aimais! tu l’aimais! ma colombe;
Et qui te l’a ravi?
Liotot!..sur sa tombe
J’ai longtemps écouté: son ombre me l’a dit. Bien loin de t’aimer, ah! Mila te maudit! Eh bien, oui; ton dédain pour moi causa sa perte;
Ta passion pour lui, je l’avais découverte; Et mon cœur, entends-tu, n’est point fait pour souffrir Tous les affronts sanglants que l’on m’a fait subir. Je l’ai tué! tant mieux! je le tuerais encore.
Scélérat!
Oui, c’est moi, moi que ton œil abhorre!
Moi que ton Morangie a voulu dégrader; Qu’avec mépris toujours il semblait regarder. Oui, j’ai su le frapper, Mila, je m’en honore!
Oh! monstre!…Qu’un serpent incessamment dévore
Dans ton sein criminel la fange de ton cœur! Qu’il s’y roule toujours en vivante douleur; Qu’à l’entour de ton cou dans la nuit il s’enlace, Et que, durant le jour, le sentant sur ta face, Tu baisses devant tous ton visage effrayé! Va-t-en!
Dieu! qu’ai-je fait! je me suis oublié!
Un seul savait mon crime! À présent l’Indienne Ira le dévoiler! J’en subirai la peine! La Salle est tout puissant! Pourra-t-il contenir Sa fureur! Comment donc ai-je été me trahir? Ah! fuyons! cachons-nous sous ces épais feuillages! Mais hélas! au milieu de ces forêts sauvages, Traqué de tous côtés, que vais-je devenir! Oh! si Rose à mes yeux pouvait ici s’offrir! Nous concerterions tout; elle viendrait m’attendre, À certaine heure, aux lieux où je pouvais me rendre, Et si Mila faisait la révélation…. Mais j’y songe! je puis avoir un espion! Déjà mon eau-de-feu m’a gagné les services Du jeune Uncas, esprit tout rempli d’artifices; Je sais où le revoir; il vient souvent ici; La femme de Duhault le connaît aussi! Il a servi déjà notre amitié secrète. Oui, Rose et l’espion veilleront sur ma tête; Si je suis dénoncé, je le saurai bientôt! [Il entre dans le bois.] Mila. Le remords vengera Mila de Liotot!
L’homme de Dieu l’a dit, une âme criminelle Trouve au fond de soi-même une peine cruelle! L’homme de Dieu l’a dit, l’implacable remords Au cœur de l’assassin fait souffrir mille morts! Mais qui vois-je venir!
Mila, Uncas. Mila. C’est toi, faucon rapide,
Je viens voir aujourd’hui
Celle qui sur la tombe écouta dans la nuit: C’est ma voix qui t’a dit quelle main meurtrière Avait de Morangie éteint l’ardeur si fière. Liotot m’avait pris pour servir son dessein; D’une flèche d’Uncas il lui perça le sein. Ah! je n’avais pas su sur qui pesait sa haine! Quand, plus tard, je l’appris, mon âme en fut en peine, Et je voulus, après un attentat si noir, Mettre le meurtrier au moins sous ton pouvoir. Mais, Mila, pour ce nom qu’au milieu des ténèbres J’ai su te révéler en des plaintes funèbres, Que vas-tu me donner?
Oh! rien, quant à présent;
Plus tard je te ferai quelque digne présent…. Dis, à ton dévouement je puis maintenant croire?
Oui, certes!
De ce Blanc il faut garder mémoire!
Il est bon d’avoir l’œil sur chacun de ses pas, Car qui sait maintenant ce qu’il n’osera pas!
Tu dis vrai.
Donc je veux, Uncas, que tu t’engages
À l’épier sans cesse en ces épais feuillages. Si tu sais la servir avec fidélité, Tu verras de Mila la libéralité! Mais si jamais Uncas trahit sa souveraine, Qu’il tremble! car un jour Mila doit être reine! Retire-toi; toujours sois prêt à m’obéir, Et, s’il le faut jamais, sache à temps m’avertir! [Uncas rentre dans la forêt.]
Voici venir là-bas ces hommes vénérables
Qui d’un dieu m’ont dépeint les douleurs incroyables. Mais que leur veut Tello, l’aigle du Grand-Conseil, À qui je dois respect, moi, fille du Soleil?
Scène V. L’Abbé Cavelier, le Père Athanase, Tello, Mila. Tello. Excellent Cavelier, et vous cher Athanase,
Le zèle ardent et saint qui tous deux vous embrasse, Chaque jour, je le vois, vous amène en ce lieu, Pour parler à Mila; pour lui dire qu’un dieu, Celui qui, selon vous, a la toute-puissance, Veut qu’on ait pour seul amour et révérence. Moi, tuteur de Mila, je ne condamne point Dans vos cœurs purs et bons ce charitable soin. Mais, si vous prétendez que, pour un nouveau culte, Je livre entre vos mains son âme encore inculte; Si vous voulez semer sur ce sol votre grain, Et convertir ce cœur d’ignorance encor plein; Si vous voulez qu’au lieu des Manitous qu’elle aime Elle adore ce dieu que vous dites suprême; Moi, tuteur de Mila, moi, maître de son cœur, Je demande en retour de vous une faveur. Fille du plus grand chef des nations Sauvages, On lui doit des tributs, ainsi que des hommages; J’ai donc droit à l’unir à quelque roi puissant, Digne d’elle en tout point pour l’honneur et le sang. Mais je serais heureux si le brave La Salle, La prenant pour épouse, en faisant son égale. Si donc vous le portez, par vos graves discours À s’unir à ma nièce, à l’aimer pour toujours, Moi, tuteur de Mila, je vous livre son âme, De votre Grand-Esprit vous y mettrez la flamme.
Afin qu’un même Dieu protège les époux
Leurs liens soient plus forts et leur bonheur plus doux.
Noble Tello! la grâce à ton insu pénètre
Au fond de ton grand cœur et transforme ton être! Dieu, qui conduit le prêtre aux plus lointains déserts, Pour semer sa parole en tout l’univers, M’inspire en ce moment une grande pensée: [Au Père Athanase.] Ah! notre mission à peine est commencée, Mais je vois, cher ami, s’éclairer l’avenir! [Se tournant de nouveau vers Tello.] Ô mon brave Tello! si j’allais parvenir À faire aimer Mila de mon illustre frère, Ce serait d’un grand acte honorer ma carrière; Car, dès qu’une union si charmante aurait lieu, À la condition que, pour servir mon Dieu, L’infidèle Indien briserait ses idoles Et de la foi du Christ porterait les symboles, Bientôt dans vos déserts cet exemple adopté Ferait croître le nom du Dieu de vérité!… Allons, cher Athanase, allons, sans plus d’attente, Trouver pour notre objet La Salle dans sa tente; Au besoin votre appui viendra corroborer Ce que, pour réussir, Dieu, voudra m’inspirer. L’Abbé Cavelier et le Père Athanase se retirent en donnant le salut à Tello et à Mila.
Tello. Ah! c’est qu’il faut, Mila, que, grâce à
mon génie,
Un reste de grandeur demeure à ma patrie. Puisque de conserver le plus mince pouvoir Il nous faudrait bientôt abandonner l’espoir; Puisque l’Européen, tombant sur nos rivages, Peut à tous les momens y porter ses ravages, Puisqu’il a, pour lancer la mort avec le feu, Des machines d’airain qui font de l’homme un dieu; Sachons, par un habile et sage politique, Épargner ces malheurs à notre trône antique. Avant qu’en plus grand nombre on vienne en nos forêts Briser entre nos mains et notre arc et nos traits, Offrons à quelque chef ou d’Espagne ou de France L’apparente faveur d’une digne alliance… L’amour sied bien au cœur des courageux guerriers: Il leur faut une fleur dans leurs sombres lauriers. Le Chef blanc t’aimera; va lui porter ta natte; Un présent a toujours quelque chose qui flatte; Ce don, semblant offert par l’hospitalité, Engagera son cœur, mais non ta dignité.
Quoi! de mon jeune amant je pleure encor la perte!
Du nuage mon âme est encore couverte; Dans moi j’entends encore une plaintive voix Qui me dit que le cœur n’aime bien qu’une fois; Et déjà de Tello l’autorité cruelle Veut m’imposer l’ardeur d’une flamme nouvelle! Ne puis-je donc aimer et m’unir à mon choix? Que je hais des grandeurs les rigoureuses lois!
Quand ce premier amour naquit dans ta jeune âme
Ce n’est point de Tello que dépendait ta flamme; Le Grand Soleil, ton père, était vivant encor, Et Tello n’avait point à veiller sur ton sort. Je dois d’abord songer aux intérêts du trône; Un écart de ton cœur peut perdre ta couronne. J’ignore si jamais Outougame a connu Ces amours imprudents de ton cœur ingénu; Mais il eût, comme moi, décidé que La Salle Seul méritait l’honneur d’une union royale: Au Fort de Saint-Louis seul il commande en roi, Et tous les Blancs ici reconnaissent sa loi. Adieu! j’ai si longtemps chassé dans la savane, Qu’il me faut le repos qu’on trouve dans la cabane. Ce soir même, obéis! Va trouver le Chef blanc, Et sache de Tello favoriser le plan. Tello se dirige vers la Grande Cabane et suspend à un poteau voisin un jeune chevreuil dont ses épaules étaient chargées. Mila se hâte de finir sa natte; elle est absorbée par cette occupation et ne voit pas Rose qui paraît à sa droite, et qui témoigne, par son air et sa démarche, qu’elle attend quelqu’un du côté du bois.
C’est l’heure où l’espion dans ces lieux doit se
rendre:
Il ne saurait tarder: ici je puis l’attendre. Mais derrière la feuille au loin je l’aperçois! Il me fait signe…Entrons dans l’épaisseur du bois! On voit Uncas qui lui remet un rouleau d’écorce de bouleau,où sont tracés des caractères en encre rouge, et qui s’assoit sur un tronc d’arbre pour attendre. . "Ô vous, à qui Mila sans crainte
se confie,
"Rose, demandez-lui qui tua Morangie. "C’est moi, vous le savez; il avait contre vous "Mal parlé; je n’ai pu retenir mon courroux: "Je l’ai tué…Mila, que je n’avais point vue, "Par malheur dans le bois était aussi venue. "Allez l’entretenir et tâchez de savoir "Si, lorsque j’ai tiré, je me suis laissé voir: "Alors, ah! priez-la, Rose, de ne rien dire, "Car je serais perdu! Ma tête est en délire, "Il me semble déjà voir avancer la mort…. "Ton amant dans tes mains a remis tout son sort. [Elle cache le rouleau.] Vite! voyons Mila! Liotot qui m’adore! Qui, pour me suivre, en France abandonna sa Laure!…. Tes jours sont en danger! Mais Rose est tout à toi! Oh! je veux te servir! compte, compte sur moi. Elle se dirige vers la cabane de Mila, et demeure un moment surprise, en la voyant sous le magnolier tressant sa natte. Elle va s’asseoir près d’elle et, jetant comme sans but les yeux sur la chasse de Tello: Oh! comme de Tello j’aime la haute taille! Il doit être bien beau, lorsque, dans la bataille, Il fait mordre la terre à l’ennemi tremblant!
La Blanche aime le Rouge et la Rouge le Blanc.
Morangie! oh! de tous il était le plus brave! Mila l’aurait toujours servi comme une esclave… Rose, as-tu vu La Salle? on dit qu’il est un roi Digne sur mes tribus de régner avec moi?
Oui, mais à son neveu qui donc ôta la vie?
Je le sais maintenant, Liotot l’a ravie!
Liotot! parle bas!
Mila n’en dira rien!
De son vœu de vengeance oh! Mila se souvient! Le crime révélé, trop vite ma victime, M’échappant, s’en irait au fond du noir abyme: En voulant le punir je lui ferais du bien.
C’est vrai, chère Mila, n’en disons jamais rien!
Comme tu l’as pensé fais durer son supplice!
Oui, serpent du remords, exerce ta justice!
Ma réponse, à présent! Uncas est
dans ce lieu,
Qui m’attend; il demande aussi de l’eau-de-feu: Mon mari bien souvent dans ce bois même se cache, Au creux profond d’un chêne entamé par la hache! [Haut.] Allons, adieu, Mila! je retourne à mon feu.
Quoi! déjà tu t’en vas! Ma bonne amie, adieu!
[Rose disparaît; Uncas se fait voir à Mila.]
Uncas encore ici!
Liotot près de Rose
M’a chargé de venir; mais, Mila, nulle chose Ne peut te concerner en ces rapports secrets Que, depuis plus d’un an, je sers dans nos forêts. Je saurai t’avertir, si rien jamais arrive Qui demande, ô Mila, que tu sois attentive.
Eh bien, dans le taillis retourne te cacher.
Oui, car la Blanche encor doit venir me chercher:
Il ne faut pas ici que je sois vu de Rose, Afin qu’entièrement leur foi sur moi repose. [Il se retire et va s’asseoir de nouveau sur le tronc d’arbre.] Ah! Rose et Liotot s’aiment depuis un an!
Ce si tendre intérêt s’explique maintenant!.. Mais ce n’est pas pour elle, oh! non, que je pardonne À son amant, pour moi quoiqu’elle soit bien bonne. C’est pour suivre plutôt les beaux enseignemens De ces hommes remplis de si doux sentimens, Qui disent que leur dieu, même au fort du supplice, Offrait au Grand-Esprit son cœur en sacrifice!.. Ils m’ont souvent fait voir une image de bois; C’est leur dieu, disent-ils, mourant sur une croix! Ils veulent que Mila, comme eux, arrive à croire Le miracle inouï de cette étrange histoire; Ils m’assurent qu’on doit à leur dieu ressembler, Et que de son amour notre âme doit brûler; Qu’il faut, à son exemple, être plein d’indulgence, Et qu’au Grand-Esprit seul appartient la vengeance. [Rose reparaît et remet un papier et une calebasse d’eau-de-feu à Uncas qui part.]
Rose, revenant près de Mila. Rose revient, Mila, converser avec toi:
J’avais à Morangie attribué ce trait!
Mais ce que tu me dis, Rose, serait-il vrai?
Oui, nous avions deux chefs, La Salle et Morangie;
Mais La Salle est celui qui lui sauva la vie.
Voilà d’où vient l’erreur! On m’a dit: Le
Chef Blanc
D’Outougame a sauvé les jours; et moi, croyant Qu’au jeune Morangie en revenait la gloire.
Tu l’en aimas plus fort; du moins on peut le croire?
À ne te rien cacher, d’abord à cette erreur
Il dut l’attachement qu’avait pour lui mon cœur; Mais je l’aimais aussi pour cette fierté mâle Qui brillait sur son front.
Si tu voyais La Salle!
Mes yeux sur aucun front n’ont vu plus de beauté; Des rois dans son regard brille la majesté. Mila.
Je le verrai….Je dois remplir l’ordre suprême
De Tello, qui m’envoie au Soleil Blanc qu’il aime Offrir ce lit de jonc. Mila doit obé…... Rose.
Enfin tes yeux pourront l’admirer à loisir.
Mais comment se fait-il que jamais sur ta route Il ne s’est rencontré? Mila. Lui me connaît sans doute; Rose. Sous l’habit du guerrier lorsque je le regarde, Mais, Rose, je m’attarde
Le jour aura pâli quand je serai là-bas; Pour arriver à temps je dois redoubler le pas.
Nous ferons route ensemble.
Fin du premier acte. Retour à la Bibliothèque Tintamarre
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