LES CENELLES

Choix de poésies indigènes

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***

A MALVINA
Romance.

Air : De la Bonne Vieille. (de Béranger.)

Belle de grâce et belle de jeunesse,
O Malvina, tu parus à mes yeux ;
Quand je te vis, d’une douce allégresse
Mon jeune cœur sentit les premiers feux :
Tu me juras, amante trop cruelle,
Que tu m’aimais... Mais que te dis-je, hélas !
Est-il besoin que ma voix te rappelle
Ce que ton cœur ne te rappelle pas ?

Que cette bouche est agréable et pure,
Que ce regard est rempli de candeur !
Pourquoi faut-il que l’infâme imposture
Ait ce sourire aimable et séducteur ?
Il m’en souvient qu’avec ce doux sourire
Tu fis serment que tu m’aimais, hélas !
Ce que ta bouche autrefois sut me dire,
Femme, ton cœur ne te le dit-il pas ?

Toi que je crus si long temps mon amie,
Quoi, sans remords as-tu pu me trahir ?
Ah ! je le sens malgré ta perfidie
Mon cœur ne peut encore te haïr.
Souvent, grands dieux ! dans mon cruel délire,
Je veux te fuir... que dois-je faire, hélas ?
En vain ma bouche ose me le prescrire,
Mais, Malvina, mon cœur ne le dit pas.
Valcour.

***

UN FRÈRE
Au tombeau de son frère.

(25 Septembre 1836.)

Bien loin de tes parens, sur la rive étrangère,
La Mort a sur ton front fait tournoyer sa faux ;
Et moi, je suis venu, dans ma douleur amère,
Demander à ces croix, ces saules, ces tombeaux :
“Où repose mon frère ?...

C’est donc ici !... pleurons... qu’une larme sincère
Arrose le gazon qui couvre ton cercueil !...
Loin de moi, d’autres mains ont fermé ta paupière
Quand de la vie, hélas ! tu franchissais le seuil,
Mon infortuné frère !...
À vingt-six ans, Numa, tu finis ta carrière !
Mais tes nombreux amis toujours te pleureront.
Au seul ressouvenir de ton franc caractère
Crois-moi, longtemps encor leurs cœurs palpiteront...
Dors en paix, mon bon frère !...

Non, je ne doute point de ce divin mystère :
Nous devons tous au ciel, un jour, nous réunir.
Tranquilles et contens auprès de notre mère.
D’un bonheur éternel là nous pourrons jouir...
Au revoir, mon cher frère !...
Armand Lanusse.

***

LE SONGE

Traduit de l’espagnol de Fileno.

Je rêvais que, l’âme chagrine,
J’errais parmi des prés fleuris...
Par une rose purpurine
Soudain mes yeux sont éblouis ;
Vers la reine de la prairie
Je vais... mais quel est mon effroi !
La rose en pâlissant s’écrie :
“Fuis, je ne naquis pas pour toi.”

Je rêvais qu’une tourterelle,
Dans une orangerie en fleur,
Loin de son compagnon fidèle,
À l’écho disait son malheur ;
Je m’approche, l’âme attendrie,
Pour dissiper son triste émoi,
Mais elle en me voyant s’écrie :
“Fuis, je ne gémis pas pour toi !”

Je rêvais qu’en un bosquet sombre
Je m’en allais silencieux,
De l’astre des nuits, perçant l’ombre,
Un rayon tomba sur mes yeux ;
Des pleurs inondaient mon visage,
Mais l’astre s’enfuit loin de moi,
Et, s’enveloppant d’un nuage,
Dit : “Je ne brillais pas pour toi !”

O vous, de ma peine cruelle
Interprètes mystérieux,
Brillante rose, tourterelle,
Astre d’amour, astre aux doux feux,
Je vous comprends... douleur extrême !
Mon destin me remplit d’effroi :
Jamais, jamais celle que j’aime,
Hélas ! n’aura pitié de moi !
P. Dalcour.

***

LE PASSÉ

Vous qui m’interrogez lorsqu’au sein d’une fête
Mon front paraît souffrir,
Peut-être ignorez-vous qu’en tous lieux le poète
Aime à se souvenir.

Dans les flots du passé, flots où tout se reflète,
Je fouille avec amour,
J’y trouve les soupirs que mon âme inquiète
Sème encor chaque jour ;

J’y trouve les adieux de la frêle Espagnole
Qu’endormit le trépas,
Et qui devait un jour, consolante boussole,
M’enchaîner à ses pas ;

J’y trouve le souris de sa lèvre rosée,
Lorsque j’allais, le soir
Recueillir, pour mon cœur, sa brûlante pensée
Où scintillait l’espoir.

Le passé ! le passé ! c’est là qu’est mon étoile,
C’est là qu’est mon trésor ;
Oui, chaque souvenir que j’arrache à son voile
Est comme un rayon d’or !

Vous qui m’interrogez lorsqu’au sein d’une fête
Mon front paraît souffrir,
Peut-être ignorez-vous qu’en tous lieux le poète
Aime à se souvenir.
Camille Thierry.

***
COUPLETS
Chantés à la noce d’un ami.

Air : J’entends au loin l’archet de la folie.


Heureux amans, ô vous qui de Cythère
Entreprenez le voyage incertain,
Puisse un doux vent, puisse une mer prospère
Conduire au but votre amoureux destin.
Que de vos cœurs de sinistres images
Ne viennent point troubler le doux transport ;
Voguez, amis, sans craindre les orages,
Nos vœux ardents vous conduiront au port.

La nef bondit et les vents sont propices,
Un doux espoir flatte vos tendres cœurs ;
L’amour vous suit et d’abord pour prémices,
Ce Dieu charmant vous couronne de fleurs.
Pour prévenir tempêtes et naufrages
Nous prions tous et d’un commun accord.
Voguez, amis, sans craindre les orages,
Nos vœux ardents vous conduiront au port.

Un vent moins pur que le soupçon enfante
De votre marche a retardé l’essor ;
Le ciel s’ombrage et la vague écumante
Va vous couvrir !... non, l’espoir luit encor.
La vérité dissipe les nuages
Et l’air plus frais vous pousse sans effort.
Voguez, amis, sans craindre les orages,
Nos vœux ardents vous conduiront au port.

Déjà la plage à vos yeux se présente ;
Et jusque là le bonheur vous a lui.
L’Amour s’en va, mais l’Amitié constante
Est avec vous ; ce sera votre appui.
Votre œil sourit à de charmans présages,
De beaux enfans veillent sur votre sort ;
Voguez, amis, sans craindre les orages,
Nos vœux ardents vous conduiront au port.
Numa Lanusse.

***
L’ORPHELIN DES TOMBEAUX

I.
Naguère un orphelin à la plaintive voix,
Exhalait ses douleurs au champ semé de croix ;
Il chantait, et l’oiseau, caché sous le feuillage,
Semblait, pour l’écouter, suspendre son ramage ;
Il chantait, et des vents l’haleine se taisait,
Le murmure des eaux, triste, s’assoupissait ;
Il chantait, et mon cœur, attendri jusqu’aux larmes,
Se fondait au récit de ses longues alarmes ;
Il chantait, et parfois ses funèbres accords
Faisaient glisser soudain un frisson sur mon corps !

II.

Quand arrive le soir, pensif et solitaire,
Les regards tristement attachés à la terre,
Je me prends à pleurer en pensant à celui
Qui m’avait dit jadis : Je serai ton appui,
Je serai le soutien de ton sort déplorable ;
Le monde te dédaigne, hélas ! es-tu coupable
Si tu souffres, dis-moi, des malheurs d’ici-bas ?
Si partout l’infortune accompagne tes pas ?
Non, non, tu ne l’es point. Sur ton destin je pleure.
Enfant, acceptes-tu ma chétive demeure ?
Avec moi veux-tu vivre, infortuné plaintif ?
Je serai désormais ton parent adoptif ;
J’adoucirai ton sort ; hélas ! il est à plaindre !
Enfant, dans mon séjour tu n’auras rien à craindre ;
Des orages du temps j’abriterai tes jours ;
Car tu seras mon fils, et le seras toujours.
J’endormirai tes maux. Dans ma demeure antique,
Oh ! viens te reposer, enfant mélancolique !
En achevant ceci, me prenant par la main,
Dans son riant séjour il me conduit soudain ;
Il m’appelait son fils, je lui disais mon père ;
Enfant, il me montrait un avenir prospère.
Déjà j’étais joyeux, seulement, quelquefois
Le triste souvenir d’une touchante voix
De mon hilarité venait rompre les charmes,
Et soudain me forçait à répandre des larmes.
Mais quand je le voyais ce généreux ami,
Du sommeil de la mort maintenant endormi,
J’étanchais aussitôt mes larmes à sa vue,
Et soudain me berçais d’une joie imprévue ;
Car il savait toujours des mots consolateurs,
Des mots qui suspendaient les tourmens et les pleurs
Des paroles de miel si douces et si belles
Qu’elles assoupissaient mes peines trop rebelles !
Il a donc expiré ce père généreux !...
Sur sa mort j’éclatais en sanglots douloureux !
De son dernier soupir je me souviens encore :
C’était au mois de Mars, au lever de l’aurore...
Je venais de ma sœur visiter le tombeau.
Le soleil se levait mélancolique et beau,
Quand, tout à coup, j’ouïs une voix triste et tendre
Balbutiant un nom que je ne pus comprendre.
J’écoutai... Cette voix, qui me fit soupirer,
Murmura ton père est au moment d’expirer ;
Enfant, n’entends-tu pas ? C’est sa voix qui t’appelle.
Viens étendre ta main sur sa couche mortelle,
Viens présenter ta lèvre à son baiser d’adieu ;
Sur son lit de douleur l’entretenir de Dieu !
J’écoutais pâlissant sur le bord de sa couche,
Ces derniers mots, hélas ! échappés de sa bouche :
C’en est fait, ô mon fils, je te quitte à jamais ;
Sur mon tombeau désert tu prîras désormais...
Chaque jour tu viendras au lever de l’aurore,
Enfant... pour y gémir t’agenouiller encore...
Que je serre ta main ! c’en est fait... je me meurs...
Et sa voix aussitôt s’éteignit dans les pleurs.
Hélas ! il n’est donc plus ! Sur son froid mausolée
Je soupire parfois ma tristesse isolée.
Au matin de mes jours tel est, tel est mon sort,
Banni du monde entier je pleure sur la mort !
M’égarant désolé dans ce noir cimetière,
Je contemple l’abri de ma famille entière ;
Où le saule éploré balance ses rameaux,
Je suis seul, toujours seul dans le champ des tombeaux,
Où souvent fatigué, je m’assoupis à l’ombre
D’un antique cyprès : là, rêveur, triste et sombre,
D’un ange de quinze ans, couronné de jasmins,
Je crois presser parfois les palpitantes mains !
Tenir entre mes bras cette vierge timide !
M’enivrer du regard de sa prunelle humide !
Puis soudain je m’éveille en murmurant ces mots :
Hélas ! ce n’est qu’un rêve au milieu des tombeaux !
Ah ! ton seul souvenir, ange à jamais aimable,
Dans mes malheurs fait naître un charme inexprimable !
Mais bientôt, je le sens, j’irai dormir enfin
De ce sommeil, hélas ! qui n’aura pas de fin !
Alors, Anastasie, en contemplant ma pierre
Qu’une larme d’amour arrose ta paupière !
Puisses-tu t’attendrir à l’aspect de ces mots :
“Il vécut et mourut au milieu des tombeaux.”

III.

L’écho répercuta sa complainte orpheline ;
Et les deux bras croisés sur sa jeune poitrine,
Rêveur, il s’assoupit en contemplant des cieux
Le flambeau dont l’éclat argentait ses cheveux ;
Et quand l’oiseau chanta le réveil de l’aurore,
Dans la même attitude il sommeillait encore,
Oui, mais de ce sommeil dont le lugubre aspect
Imprime dans nos cœurs un éternel regret !...
Bo... .s.


RONDEAU REDOUBLÉ

Aux francs amis.

De francs amis demandent un rondeau.
Allons, ma muse, il faut faire merveille !
N’écrivons plus désormais pour de l’eau,
De bon vin vieux on nous paiera bouteille.

Pour t’obtenir, ô doux jus de la treille !...
Il faut rimer dans un genre nouveau,
Il ne faut pas ici que je sommeille,
De francs amis demandent un rondeau.

De vin Bacchus nous promet un tonneau,
De fleurs l’Amour nous offre une corbeille ;
Du dieu du vin j’aime mieux le cadeau,
Allons, ma muse, il faut faire merveille !

La nuit souvent pour écrire je veille,
Au jour, mes vers tombent dans l’eau ; c’est beau !
Dès à présent, muse, je te conseille,
N’écrivons plus désormais pour de l’eau.

Je sens sortir du fond de mon cerveau
Un nouveau vers à rime sans pareille ;
Allons, toujours, nous ferons un tableau :
De bon vin vieux on nous paiera bouteille.

À la censure, hélas ! qui nous surveille,
Vite en passant ôtons notre chapeau,
À ses discours ouvrons bien notre oreille
Pour n’être pas nommé poétereau...
De francs amis.

N. Riquet.

***
LE MAUDIT

Sommes-nous, ô hasard, l’œuvre de tes caprices,
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?
(Lamartine.)

LE MAUDIT

À mon ami Camille T.

Pourquoi, pourquoi m’aimer, ô vierge enchanteresse,
Pourquoi plonger mon âme en une folle ivresse ?
Pourquoi laisser tomber sur mon front soucieux,
Ces larmes que l’amour arrache à tes beaux yeux ?
Pourquoi venir encor, comme un parfum de rose,
Sur ma bouche poser ta bouche demi-close ?
Ne vois-tu pas la Mort, ouvrant son noir manteau,
De son doigt décharné me montrer le tombeau !...
Vierge, retire-toi, car le Ciel en son ire,
En me donnant le jour se prit à me maudire !
“Va, me dit une voix, le malheur suit tes pas !
“Pour toi point de repos, toujours tu gémiras !...
“Dans ton isolement, ton infortune extrême,
“Jamais un seul ami, qui te plaigne et qui t’aime,
“Ne voudra d’un maudit adoucir le destin ;
“Chacun, avec effroi, fuira de ton chemin !...
“Jamais à tes côtés la femme qui t’est chère
“Ne viendra partager ta couche solitaire :
“Les roses et les lis sur son front virginal
“Bientôt se flétriraient sous ton baiser fatal ;
“Le malheur, la pressant dans sa cruelle serre,
“Lui rongerait le cœur comme un fétide ulcère !”
Horrible destinée ! inexorable sort !
Pour abriter ma tête où trouverai-je un port ?
En vain je veux aimer... moi, maudit en ce monde,
Qui me tendra la main dans ma douleur profonde ?

Destin mystérieux,
Qu’ai-je fait sur la terre,
Pour mériter des cieux
L’implacable colère !
Dieu, qu’on dit juste et fort,
Dieu de toute-puissance,
N’ai-je d’autre espérance
Qu’en la cruelle Mort ?
Que rien donc ne l’arrête,
Je suis las de souffrir !
Puissé-je sur ma tête
Voir ses ailes s’ouvrir !

Puissé-je enfin sentir son haleine glacée...
Pour vaincre le malheur, en ma rage insensée,
J’ai fait de vains efforts,
Je ne vois maintenant d’autre abri que la tombe,
Et j’espère qu’enfin sur moi le linceul tombe,
Ce froid manteau des morts !

Eh ! que faire ici-bas parmi la foule vile ?
L’homme est faux et pervers, c’est un être servile
Ne rêvant que grandeur
Et fortune. Soumis au riche, son idole,
S’il en avait encor, pour une seule obole,
Il vendrait son honneur !

II.

Fuis, fuis de mes côtés, ô femme,
Bel ange descendu des cieux ;
Cherche par le monde une autre âme
Qui puisse répondre à tes feux.

Ah ! quelle destinée amère !
Je t’aime et je te dis de fuir,
Toi que, pour orner cette terre,
Le Ciel à former prit plaisir.

Car maudite est mon existence,
Maudits sont ceux que j’aime, hélas !
Redoute ma triste influence,
Pour toi-même ne m’aime pas !
Oui, je vivrai seul en ce monde,
Tel est le décret du Destin !
On doit fuir un reptile immonde
Et craindre son fatal venin.

III.

Femme, retire-toi !—Le palmier solitaire,
Battu par tous les vents, au désert doit périr,
Que seul je vive donc, maudit sur cette terre,
Puisque je vais bientôt mourir !

Quand la Mort étendra sur moi sa main de glace,
Vierge, quand tintera le lugubre beffroi,
Quand je serai conduit à ma dernière place,
Fuis mon sépulcre avec effroi !

Pour toujours à l’oubli condamne ma mémoire,
Ne viens point arroser mon tombeau de tes pleurs,
Là, pour tout ornement, on verra la croix noire,
Des épines pour toutes fleurs !

P. Dalcour.

***

LA JEUNE AGONISANTE

Romance.
Air : Et bonne vieille au coin d’un feu paisible.


Vous qui veillez près de mon lit, ma mère,
Quand l’insomnie à toute heure me suit ;
Étreignez-moi, la paisible lumière
De ce flambeau maintenant m’éblouit !...
Un froid mortel en mon sein vient de naître !
Mon front pâlit et je me sens faiblir...
Mais qu’est-ce donc ? c’est le sommeil peut-être ;
Car à mon âge on ne doit point mourir...

Priez pour moi, mes compagnes chéries :
Pour moi bientôt reviendra le bonheur.
Dans quelques jours de nos belles prairies
En folâtrant j’irai cueillir la fleur.
En vain ma voix vous paraît languissante,
Je vais chanter, pour combler mon désir,
De l’Exilé la romance touchante ;
Non, croyez-moi, je ne dois point mourir.

Et toi, Valmir, près de ta fiancée,
Pourquoi ces pleurs, ce sombre désespoir ?
De notre hymen l’heure est déjà fixée,
Aux saints autels on va bientôt nous voir...
Ma main, dis-tu, dans la tienne se glace,
Avec effort mes yeux semblent s’ouvrir ;
Mais mon bon ange à mon chevet se place ;
Rassure-toi, je ne dois point mourir.

Ainsi disait dans un délire extrême,
La jeune enfant descendue au cercueil ;
De sa pensée, à son heure suprême,
Elle chassait toute image de deuil.
Dans notre cœur, fille, amante accomplie,
Nous garderons toujours ton souvenir.
Pour ton amant, pour ta mère chérie,
Non, non, jamais il ne doit point mourir.

Armand Lanusse.


***

LE NAUTONIER

Confondons nos soupirs, confondons nos doux mots...
Parlons, ô mon amie !
Parlons, que nos deux voix troublent les vieux échos
De la grotte endormie.

J’ai senti sous ma main ton beau corps s’agiter
C’est un heureux présage...
La brise peut fraîchir, la vague peut chanter,
Je reste sur la plage.

Qu’importe si ma nef sur les flots écumeux
Se trouve sans pilote ?
Qu’importe ! à toi mon âme... oh ! que je suis heureux
Avec toi dans la grotte !

Ne crains pas aujourd’hui de me donner ton cœur,
De me donner ta vie,
Nous n’avons pour témoins que l’ombre et la fraîcheur
De la grotte jolie.

S’il venait en ces lieux, ce farouche vieillard
Que tu nommes ton père,
Mon front deviendrait sombre et mon large poignard
L’endormirait, ma chère ;

S’il venait en ces lieux nous mettre à découvert
Son âme furibonde,
Pour lui je creuserais en un sentier désert
Une fosse profonde !

Ce vieillard, ce vieillard m’a refusé ta main,
En maudissant ma race,
Aussi pour ce vieillard tout sentiment humain
De mon âme s’efface !

Je vois comme une perle au fond de ton œil noir
Poindre une blanche larme,
Je vois que ton corps tremble et que mon désespoir,
Jeune vierge, t’alarme...

Fuyons, fuyons ces bords !... à sillonner les mers
Ma nef est toujours prête,
Fuyons... je trouverai quelques îlots déserts
Pour abriter ma tête !

Camille Thierry.


ADIEUX

Objet chéri, pourquoi de ma tendresse
Avoir si tôt suspendu les transports ?
Te souviens-tu des jours où ton ivresse
Me promettait un bonheur sans remords ?
Adieu, pardonne à mon âme attendrie
De ne pouvoir se détacher de toi ;
Je vais payer aujourd’hui de ma vie
Le temps heureux où je reçus ta foi.
Adieu, de la voûte céleste
Je veillerai sur ton destin ;
Là, finira le sort funeste
Qui de mes jours approche ici la fin.

Quand, tourmenté d’une peine secrète,
Ton faible cœur connaîtra la douleur,
Viens prier Dieu sur ma tombe discrète,
Soudain pour toi renaîtra le bonheur.
Et, l’Éternel exauçant ta prière,
En souvenir de nos amours passés,
Pose une fleur au marbre tumulaire
Qui couvrira mes restes desséchés,
Adieu, de la voûte céleste
Je veillerai sur ton destin ;
Là, finira le sort funeste
Qui de mes jours approche ici la fin.

Desormes Dauphin.


***


À HERMINA

Air du Ménestrel.


Amour, écoute un amant qui t’implore,
O Cupidon, le plus puissant des dieux !
Fils de Vénus, daigne exaucer mes vœux :
Hélas ! rends-moi la beauté que j’adore...
Lorsque mon cœur est consumé d’amour
Loin d’Hermina je n’ai plus de beau jour.

Adoucissez le chagrin qui m’oppresse,
Doux souvenirs de mon premier bonheur.
L’absence, hélas ! qui cause mon malheur,
L’absence même a doublé ma tendresse...
Lorsque mon cœur est consumé d’amour
Loin d’Hermina je n’ai plus de beau jour.

Hélas ! pour moi, dans mon inquiétude,
Tous les plaisirs sont d’ennuyeux tourments.
Rien maintenant ne peut flatter mes sens.
Le monde entier est une solitude ;
Lorsque mon cœur est consumé d’amour
Loin d’Hermina je n’ai plus de beau jour.

Valcour.

***

UNE LARME SUR WILLIAM STEPHEN

Muse, un béant sépulcre engloutit un poète :
Préludons aujourd’hui par un hymne de deuil ;
Déposons un instant nos parures de fête,
Allons pleurer sur un cercueil.

Et pourtant que les fronts soient encor sans nuage,
Oh ! que rien ne révèle une forte douleur !
Car, si l’ange s’en va vers un autre rivage,
C’est pour échapper au malheur.

Oui, c’est pour fuir la mort que sème le tonnerre,
Que l’oiseau qui dormait va planer au zénith ;
Bientôt un bruit éclate... il voit, couché par terre ,
L’arbre où se balançait son nid.

Mais quoi ! tu pus mourir, ô Barde ! et ton génie,
Plante qu’un froid hâtif a tuée en la glaçant,
Retournera se fondre en sanglots d’harmonie,
Aux pieds du Tout-Puissant.

Pourtant l’espoir encor rayonnait sur ta rive,
Et Dieu faisait fleurir tes jours dans leur printemps,
Sa main t’avait fait don du rameau de l’olive,
Son esprit te guida vingt ans.

Sans jamais te mêler aux vains bruits de la terre,
Cherchant dans l’infini l’ombre d’un grand secret,
Tu passas dans la vie, obscur et solitaire,
Et vis nos faux plaisirs avec un œil distrait.

Ta renommée un jour vint échauffer ma veine ;
Jouant avec ton nom dans ma brûlante ardeur,
O frère ! je voulus te pousser dans l’arène ;
Mon dessein innocent offensa ta pudeur.

Ta haute intelligence, âtre où brûlait la flamme,
Devait luire au grand jour pour le besoin de tous ;
C’est pourquoi j’eus recours aux feux de l’épigramme :
Je voulus t’attiser,... j’allumai ton courroux.

Mais, Barde, oh ! dis pourquoi t’envoler dès l’aurore ?
Si tôt a donc sonné l’heure triste du soir ?
Dis-nous sous quel fardeau que le vulgaire ignore,
Si jeune nous t’avons vu choir ?

Comme un jonc desséché qu’un vent du nord emporte
Et broie, en redoublant ses furieux efforts,
Peut-être, fatigué sous ton âme trop forte,
Trop faible s’est brisé ton corps.

Ne pouvant exhaler tous tes flots de pensées
Peut-être que ton cœur, théorbe harmonieux,
Par leur bouillonnement, eût les fibres cassées,
Dans ses élans impétueux.

Ou bien comme la foi travaillant dans son âme,
Pour vous sanctifier par un malheur de plus,
Peut-être le Seigneur vous le prit, chaste Femme !
Pour en faire un de ses élus.

Et l’éternel a dit, écoutez, pauvre Mère !
Que l’homme n’est qu’un souffle, une vaine poussière ;

Et puis, il est si doux après de longs travaux,
De dormir à l’abri des tempêtes mondaines !
Puis d’écouter au port, dans un vaste repos,
Le tonnerre lointain des passions humaines.

Oh ! dors, oui, dors toujours jusqu’au jour solennel !
Et quand la nuit éteint la grande voix du monde ;
Que Celui que je sers d’un doux regard m’inonde,
Je te lègue ces chants, hommage fraternel,
Étincelle ravie au foyer de mon âme
Pour dorer ton oubli d’une rapide flamme.

Dors, dors toujours ! que rien ne trouble ton sommeil ;
Sur ta tombe cachée aux rayons du soleil,
Qu’un saule tristement épande son ombrage ;
Qu’un marbre où les regrets auront gravé ton nom,
Puisse dire au passant : “Il est mort avant l’âge,
Derrière lui laissant un lumineux sillon.”

Joanni.


***

AU BORD DU LAC

Viens, ô ma bien-aimée,
La brise est embaumée
Quand le jour fuit ;
Tout dort, tout est silence,
Au bord du lac immense
Viens la nuit !

L’oiseau dans le feuillage
A cessé son ramage,
Son chant joyeux ;
Pas un léger murmure
Ne trouble la nature...
Veillons tous deux.

Comme une immense glace,
Où se mire la face
Du firmament,
Vois cette onde limpide :
Aucun souffle ne ride
Ce lac mouvant.

Vois la lune : elle est pâle,
Mais ses reflets d’opale
Charment les yeux,
Et dans la nuit sans voiles
D’innombrables étoiles
Brillent aux cieux !

Assieds-toi, ma chérie,
Sur cette herbe fleurie,
Ce frais gazon ;
De là, vois ce nuage
Qui rase le rivage
A l’horizon ;

Vois ses formes étranges :
On croirait voir des anges
Silencieux,
Qui s’élèvent de l’onde
Pour contempler le monde
Du bord des cieux !
Que mon âme est ravie !
Oh ! que j’aime la vie
A tes côtés ;
Là, près du lac tranquille,
Vivons loin de la ville,
Loin des cités.

Depuis que j’ai su plaire,
Tout pour moi sur la terre
Est parfumé ;
Oui, tout semble sourire
Alors que l’on peut dire :
Je suis aimé !
P. Dalcour.


***

TOI

À mon ami V. M.

Tout parle à ma douleur de cette jeune fille,
Qu’en vain j’appelle encor,
Tout !... jusqu’à la couleur de sa riche mantille
Dont la frange était d’or !

Tu ne murmuras point quand l’heure était venue,
L’heure de nos adieux...
Tu t’envolas tranquille à travers chaque nue,
Comme un ange des cieux.

Enfant, nous te suivrons au-delà des nuages,
Où l’âme trouve un port,
Où l’on n’entend jamais le grand bruit des orages,
Où l’ouragan s’endort !

En ce jour de malheur où ta joyeuse tête
Se pencha pour mourir,
Ton nom seul nous resta... débris que la tempête
Laissa pour l’avenir !

Ce nom !... il restera dans l’ombre de mon âme
Jusqu’à mon dernier jour...
N’est-il pas le reflet d’une brûlante flamme
Qui me couvrit d’amour ?...

Ce nom dans le calice où je bois la misère,
Distille un peu de miel,
Ce nom, il est encor un peu de parfum sur la terre...
Quand la fleur est au ciel !

Je crois entendre encor frissonner ta guitare
Sous ta légère main,
Quand ma voix demandait à ta voix un chant rare,
Un chant de séraphin.

Oui, mes jours à venir n’auront sur cette terre
Que d’éternels regrets ;
Le temps ne fera rien à ma pensée amère...
Moi t’oublier... jamais !

Tout parle à ma douleur de cette jeune fille,
Qu’en vain j’appelle encor,
Tout !... jusqu’à la couleur de sa riche mantille
Dont la frange était d’or !

Camille Thierry.

***
Cette enfant, sans sa mère, eut peut-être été sage.
Épouse, à son époux elle eut donné ses soins ;
Mère, de ses enfans prévenu les besoins.
Verjux.


A ELORA

Éclairez, Elora, mon esprit incrédule
Sur la sourde rumeur qui maintenant circule ;
On dit de toutes parts qu’infidèle au serment
Qui fiançait votre âme à celle d’un amant
Dont le plus vif désir tend vers l’heure bénie
Où par un nœud sacré vous lui serez unie ;
On dit, mais c’est sans doute, Elora, par erreur,
Que l’intérêt vous jette un autre amour au cœur,
Que vous fuyez l’hymen et son sévère code
Pour en adopter un moins sûr mais plus commode.
Je ne veux point le croire et blâme avec courroux
Cette méchanceté qu’on fait peser sur vous.
Mais s’il advient pourtant, par l’exemple entrainée,
Que vous compariez l’une et l’autre destinée,
Dans vos premiers pensers pour mieux vous affermir,
Écoutez ce récit qui vous fera gémir :
Vous vous rappelez bien la jeune Noémie
Que vous nommiez jadis votre meilleure amie ?
Pour que l’on abusât de sa simplicité,
Sa mère, sans remords, fut de complicité ;
Et Noémie, hélas ! exhibait triomphante,
Ces riens qui provenaient d’une source infamante ;
Quelques meubles nouveaux, un écrin éclatant
Avaient séduit les yeux de cette pauvre enfant ;
Fière d’être admirée en sa robe soyeuse,
Elle oubliait la honte et paraissait heureuse.
Mais bientôt, Elora, le donneur disparut ;
Un marché de nouveau bien vite se conclut ;
Puis quelques mois plus tard, par le besoin pressée,
La jeune fille au vice alla tête baissée ;
En proie aux passions dont l’excès la tuera,
Noémie aujourd’hui... je m’arrête, Elora !...
C’est trop souvent le sort de mille créatures
Qui forment follement ces liaisons impures.
En vain dans des palais déployant leur splendeur,
Voudraient-elles cacher cette horrible laideur,
Celles qui vivent même au sein de la richesse,
Font lire sur leurs fronts : indignité, bassesse !...

Armand Lanusse.

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