LES CENELLES
Choix de poésies indigènes
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IV
***
Couplets
Chantés à une noce.
Air : Épingle heureuse et chère.
Combien du mariage
J’aime la douce loi !
Et chacun je le gage
Le dira comme moi.
Quand l’amour se partage
Entre deux cœurs heureux,
Combien du mariage
On désire les nœuds !
Combien le mariage
A d’attraits à mes yeux !
Ce couple heureux m’engage
À faire un jour comme eux.
D’amour le doux langage
A fait battre mon cœur.
Combien le mariage
Aurait fait mon bonheur !
Vous que le mariage
Unit en ce moment,
Recevez mon hommage
Offert sincèrement.
Que dans votre ménage
Règne un parfait accord,
Vous dont le mariage
Vient de fixer le sort.
Ah ! si du mariage
J’obtiens le sacrement,
Que ce soit femme sage
Qui prenne mon serment.
Je ne veux à mon âge
Pour embellir mes jours
Qu’un heureux mariage
Qu’apprêtent les amours.
M.F. Liotau
***
À MON AMIE
C’est toi qui m’inspiras mes désirs
de poète ;
Tu sais bien que mon luth timide en ses efforts
N’osa qu’à ton oreille attentive et discrète
Confier ses craintifs transports.
Le seul prix que j’envie et qui seul m’intéresse,
De ton cœur amoureux, oui, j’ai su l’obtenir ;
Et mes faibles accents ignorés de la presse
S’impriment dans ton souvenir.
Si mes tendres accords savaient si bien te plaire
Lorsque je célébrais les douceurs de ta loi ;
C’est que dans tous ses chants ma muse solitaire
Fut toujours simple comme toi.
Ah ! si de Lamartine en saisissant la lyre,
Je pouvais t’arracher à ton obscurité,
Je livrerais bientôt, comme celui d’Elvire,
Ton nom à l’immortalité.
Oui, si la poésie écoutait mes instances,
Ce surnom enfantin qui répugne à ton cœur,
Je pourrais l’ennoblir par d’harmonieuses stances ;
Les hommes le diraient en chœur.
Que ne puis-je, embrasé d’un chaleureux
délire,
T’arracher agrandie à la hache du temps ;
Et ce nom inconnu qui fait vibrer ma lyre
Brillerait dans la nuit des ans.
Ah ! peu m’importerait notre monde à scrupules ;
Il pourrait me traîner à son noir pilori ;
Insolite Rostrum, et grèves ridicules,
Quand je t’arrachais à l’oubli.
La fortune bornant mon élan artistique ;
Pour croître à ta hauteur il fallut exhausser.
Je montais tout tremblant l’échelon poétique
Lorsque tu vins m’encourager.
Je compris d’un coup d’œil ton intime
pensée ;
Oui, pour toi j’adoucis mon langage grossier ;
Et tu m’as vu, docile à ta voix adorée,
Polir mon geste d’ouvrir.
Valcour.
***
COUPLET
Contre une demoiselle sur qui on avait tiré
un coup de pistolet
Air : Femmes voulez-vous éprouver &c.
Avec plus de timidité,
De douceur dans le caractère,
Et le regard moins effronté,
Peut-être Elina pourrait plaire ;
Mais loin d’avoir les dons heureux
Qui font rechercher une belle,
Elina n’allume des feux...
Que pour lui brûler la cervelle...
M. St. Pierre
***
LE PRÊTRE ET LA JEUNE FILLE
Paix sur terre aux mortels de froid tempérament,
Malheur à qui du ciel reçut un cœur aimant !
A. Mercier
L’ombre silencieuse envahit cette enceinte ;
Tout se revêt déjà de sa lugubre empreinte ;
Et la lampe qui luit chaque soir en ce lieu
Bientôt éclairera sur sa croix l’homme-dieu.
Pourquoi Léosida, ma colombe fidèle,
De l’arche du pêcheur n’approche point encor ?
De cet ange qui peut appesantir le zèle
Dans son pieux essor ?...
De ce saint tribunal faudra-t-il que je sorte
Sans l’avoir entendue ? en vain le vent m’apporte
Le bruit de quelques pas, ce ne sont pas les siens :
Sa marche est un concert d’accords aériens !...
Que dis-je ? quel démon de mon âme s’empare ?
D’où me vient ce penser, moi, prêtre de Jésus ?...
De sa loi, de mon vœu, dans l’ardeur qui m’égare,
Je ne me souviens plus !
Mais aussi cette loi n’est-elle point trop dure !
Ce vœu s’accorde-t-il avec notre nature ?
Froide théologie, où donc est le forfait
D’admirer ce que Dieu créa de plus parfait ?
Lorsque Saint-Paul annonce au nom de l’Évangile,
Qu’un pasteur peut former un conjugal lien ;
Faut-il que les décrets d’un inhumain concile
Nous privent de ce bien !...
Quand elle arrive ici, que d’une voix confuse
Elle jette ces mots : “Mon père je m’accuse.”
À l’instant je voudrais pouvoir tout excuser,
Pour lui dire : A mon tour laisse moi m’accuser.
Oui, chacun, dans ce monde, a besoin d’indulgence :
Nul n’éprouve à son gré que de purs sentimens,
Sache, Léosida, que toujours ta présence
Bouleverse mes sens !...
Taisons-nous et cherchons à calmer ce délire
Qui du ciel outragé me fait mériter l’ire.
Mais Léosida vient car mon cœur agité
Bondit comme l’esquif par le flot tourmenté !...
Pour bannir loin de moi des erreurs insensées,
Essayons de prier, de pleurer... la voilà...
Éloignez-vous d’ici, mes mondaines pensées !...
Mon Dieu ! protégez-la !...
Armand Lanusse.
***
MON RÊVE
Qu’est-ce donc que l’amour si son rêve
est si doux ?
(Lamartine.)
Je sommeillais, trop aimable délire !...
Tu paraissais sur moi fixer les yeux ;
Je te parlais, tu daignais me sourire ;
Heureux momens ! je me croyais aux cieux.
Bercé par vous, ô séduisans mensonges !
Pourquoi ce fut un aussi court sommeil ?
Charmes des nuits, aimables et doux songes,
Oh ! retardez l’heure de mon réveil !...
J’avais ta main... tu brillais sans rivale,
De chastes fleurs couronnaient tes cheveux ;
Les doux rayons de la reine au front pâle
Étaient moins doux que l’éclat de tes yeux.
Mais je le vois, c’était un vain mensonge
Qui m’a quitté sur l’aîle du sommeil.
Charme des nuits, agréable et doux songe,
Pourquoi me fuir au moment du réveil ?
Je te disais : je te dois l’existence,
Ma Cœlina, je veux n’aimer que toi !
D’un seul baiser paie au moins ma constance ;
Tu rougissais... Tu te penchais vers moi !
Mais je le vois, c’était un vain mensonge,
Le baiser fuit sur l’aîle du sommeil ;
Rêve d’amour, aimable et doux songe,
Pourquoi me fuir au moment du réveil ?
En cet instant, s’entrouvrit ma paupière,
Adieu baiser... adieu plaisirs, bonheurs ;
J’ai soupiré, j’ai maudit la lumière,
Et mes regards étaient voilés de pleurs.
Rêves d’amour, aimables et doux songes,
Embellissez l’heure de mon sommeil ;
Venez, venez agréables mensonges,
Pourquoi me fuir au moment du réveil ?
Valcour.
***
À CELLE QUE J’AIME
Molles chansons, qui dorment dans mon âme,
Seraient à toi,
Si tu voulais dans tes heures de flamme
N’aimer que moi.
Mon luth, qui dort dans l’ombre et le silence,
Aurait un son,
Si tu voulais parfois dans ta romance
Mêler mon nom.
Pour les anneaux que fait ta chevelure
J’aurais des fleurs,
Si tu voulais, sylphide ou créature,
Sécher mes pleurs !...
Je te suivrais au temple, à la prière,
Sans désespoir,
Si tu voulais soulever ta paupière
Pour m’entrevoir.
Mon front chagrin, qu’a sillonné la ride,
Serait joyeux,
Si tu voulais dans mon regard humide
Lire mes feux.
Je reverrais sur ma route effacée,
Quelque jalon,
Si tu voulais de ta chaste pensée
Me faire don.
Ma nef, que bat l’incessante manture,
Irait au port,
Si tu voulais jeter dans sa voilure
Ton souffle d’or !...
J’emprunterais la douce voix des anges
Pour te bénir,
Si tu voulais de mes douleurs étranges
Te souvenir !...
Molles chansons, qui dorment dans mon âme,
Seraient à toi,
Si tu voulais dans tes heures de flamme
N’aimer que moi.
Camille Thierry.
***
UNE IMPRESSION
Église Saint-Louis, vieux temple reliquaire,
Te voilà maintenant désert et solitaire !
Ceux qui furent commis ici bas à tes soins,
Du tabernacle saint méprisant les besoins,
Ailleurs ont entraîné la phalange chrétienne.
Jusqu’à chacun de son erreur revienne,
Sur tes dalles, hélas ! on ne verra donc plus
S’agenouiller encor les enfans de Jésus,
Qui, l’oreille attentive et l’âme timorée,
Savouraient d’un pasteur la parole sacrée ?
Et de ton sanctuaire, espace précieux,
L’encens n’enverra plus son parfum vers les cieux !...
Tes splendides autels, tes images antiques,
Tes croix, tes ornemens et tes saintes reliques,
Hélas ! vont donc rester dans un profond oubli
Qui les range déjà sous son immense pli !...
O toi, temple divin, toi dernière demeure
Des hommes bien aimés que le peuple encor pleure,
Et qui, peut-être aussi, ressentant tous tes maux,
Gémissent comme nous du fond de leurs tombeaux,
Toi qui me vis enfant en ton enceinte même
Recevoir sur mon front les signes du baptême ;
Hélas ! ai-je grandi pour te voir en ce jour
Désert, abandonné peut-être sans retour !...
Auguste et pur asile où tout âme est ravie
Lorsque se chante en chœur la sainte liturgie,
Resteras-tu toujours privé de tout honneur !
Puisque jamais en vain nous prions le Seigneur,
Chrétiens, unissons-nous ; quand ce Dieu tutélaire
A versé tout son sang pour nous sur le Calvaire,
Espérons qu’en ce jour lui seul puissant et fort,
En le priant de cœur changera notre sort ;
Prions si nous voulons que sa miséricorde
Détruise parmi nous la haine et la discorde.
Déjà cette espérance, en tarissant nos pleurs,
N’a-t-elle point versé son baume dans nos cœurs ;
N’avons-nous point revu la foule orléanaise
Quand vint la noble fête(1), au vieux temple tout aise ;
Alors le vrai bonheur brillait dans tous les yeux,
Car tout fut oublié dans cet instant heureux !
Chrétiens, un autre effort penchera la balance
Sans doute vers la paix, gardons en l’assurance ;
Et nous verrons encor comme dans le passé,
Le peuple chaque jour au temple délaissé !...
M.F. Liotau.
(1) La sainte Barbe, patronne des artilleurs.
***
AU PRINTEMPS
Chanson.
Tendre Printemps, viens rendre à la Nature
Et ses trésors et ses puissants attraits.
Pour te fêter, assis sur la verdure,
Les troubadours chanteront tes bienfaits.
Sous des berceaux de myrtes et de roses,
Tu m’entendras, charmé de ton retour,
À ma Cloé dire de douces choses ;
Tu me verras tout rayonnant d’amour.
Tous les amans, dans leurs chansons nouvelles,
Te salûront sous des toits frais et verts ;
Sur les bosquets, tous les oiseaux fidèles,
S’assembleront pour former leurs concerts.
Viens donc, accours, la Nature en souffrance,
Du sombre Hiver subit les dures lois !
Elle soupire, implore ta présence ;
Elle gémit... n’entends-tu pas sa voix ?
L. Boise.
***
CAUSERIE
Mircé, si vous m’aimez, si vous êtes
ma sœur,
Écoutez les conseils d’un frère qui vous aime ;
Je suis un pauvre diable, et puis un grand parleur,
Puis autre chose encor, vous le savez vous-même !
Mais mettons de côté tous mes mauvais défauts,
Pensez un seul instant à l’amour qui nous lie,
Et laissez-moi, Mircé, vous dire quelques mots ;
Ce ne sera pas long ; et... si vite on m’oublie !
Vous aimez, je suppose un homme que j’ai vu
Hier, quand à vos pieds je pensais à cet ange,
(Mon autre propre sœur,) que je n’ai plus revu,
Pour qui je pleure encor,... car, pour moi, rien ne change :
Eh ! savez-vous Mircé, ma pauvre chère enfant,
Ce que c’est que cet homme ? et vous savez cruelle,
Ce qui se passe en moi, dans mon cœur, dans mon sang,
Lorsqu’à mes yeux l’un d’eux quelquefois
se révèle.
Vous ne m’écoutez pas ; ah ! vous riez toujours !
Tenez, riez plus fort, contentez votre envie,
C’est de votre âge enfin ! moquez-vous des discours
De ce petit prêcheur qui toujours vous ennuie ;
Mais moi, je veux prêcher encor un coup, Mircé,
Surtout, ne craignez rien, j’aurai bientôt cessé.
—Non !—vous ne voulez pas ? déjà, tu prends
la fuite,
Monstre infernal ! Satan !... C’est son jour de visite ;
Va-t’en te faire belle ! allez démon, mutin !
Mais demain, pas de grâce !... enfoncé ! c’est
certain !
Joanny.
***
CARNAVAL
Chanson.
Air : Les oiseaux que l’hiver exile. etc.
L’hiver, sémillante Palmyre,
Reprend, hélas ! son triste cours.
Décembre, les vents, tout conspire
Pour effaroucher les Amours.
En les ralliant, la Folie
Donne partout l’heureux signal !...
Bannissons la mélancolie ;
Voici le temps de Carnaval.
Dans cette foule où l’on se presse,
Déjà j’entends autour de toi,
Mille amans répéter sans cesse :
“Je t’aime... Palmyre, aime-moi !...
Sans craindre d’être inconséquente,
Dis à tous ce refrain banal :
“Je vous aime et serai constante.”
Tout est permis en Carnaval.
Mais lorsque ta bouche rieuse
Leur promet amour éternel,
Songe qu’à moi, belle oublieuse,
Tu fis un aveu plus formel.
Pour mieux lier notre existence
Je veux qu’un serment conjugal
Ait pour nous plus de consistance
Qu’une promesse en Carnaval.
Armand Lanusse.
***
IDEES
À mon ami P. Dalcour.
Pauvre enfant ! si j’eusse eu, pour me faire
connaître,
Un brillant appareil,
Au travers de la brume aurais-je vu peut-être
Un rayon de soleil !...
Si j’allais l’implorer en lui disant :
Madame,
Mon amour me tuera ;
Qu’un mot consolateur s’échappe de votre âme,
Mon espoir renaîtra !
Si j’allais, oublieux comme en un jour de fête,
Lui dire : O mes amours !
Ta voix sera la mienne, et jamais la tempête
N’assombrira nos jours !
Si j’allais, me jouant des préjugés
du monde,
Comme l’enfant moqueur,
Lui dire : Femme ! il faut à ma douleur profonde
Les soupirs de ton cœur !
Si j’allais, frêle esquif emporté
par l’orage,
Tourmenté par le flot,
Lui dire : Sois pour moi le fanal du rivage,
Espoir du matelot !
Si j’allais lui crier : À quoi sert l’abstinence !
L’adultère est un mot
Qui, dans nos cœurs gâtés, nos cœurs veufs
de croyance,
Ne trouve plus d’écho !...
Mais non, je n’irai pas !... car j’ai
choisi pour guide
Et pour soutien... l’orgueil !...
Mais non, mon désespoir médite un suicide...
Sombre et dernier écueil !...
Un autre n’eût pas craint de montrer sa
misère,
De subir un affront !...
Mais moi, je ne veux point qu’une bassesse amère
Fasse rougir mon front !...
J’ai voulu, cœur fiévreux, lui plonger
par vengeance
Un couteau dans le sein...
Mais une voix secrète a dit à ma souffrance :
«Malheur à l’assassin !... »
Il faut donc sans trembler déployer ta voilure
À l’ouragan du soir !...
Pour trouer ton esquif le flot toujours murmure...
Nautonier, plus d’espoir !...
Camille Thierry
***
CARACTÈRE
Mot donné par mon ami Armand L.
Air : Qu’il va lentement le navire. (Béranger.)
Moi qui fais des vers par caprice,
Aujourd’hui je suis condamné
Par un ami, Dieu, quel supplice !
À rimer sur un mot donné.
Allons ma muse,
Un peu de ruse,
Il faut m’aider à sortir de ce pas ;
Vite, on me presse,
Quelle détresse !
Ah ! puisses-tu me tirer d’embarras !
Pour une chanson éphémère,
Qu’on me demande maintenant,
Muse, il faut rimer à l’instant
Sur le mot caractère.
Après un troisième veuvage
Dumont veut faire un nouveau choix,
Non qu’il fut heureux en ménage,
Mais il croit l’être cette fois.
Une mégère
Fut la première
Qui fit souffrir des maris le meilleur ;
Puis l’autre épouse
Etait jalouse,
Et la troisième aurait fait son bonheur,
Mais elle était par trop légère ;
Elle mourut, lui tout joyeux,
Veut encor former d’autres nœuds...
Chacun son caractère.
Hier, vous aimiez Amélie,
Me disait quelqu’un l’autre jour,
Vous l’oubliez pour Coralie :
Ainsi comprenez-vous l’amour ?
Oui, sur mon âme,
Gentille femme
A toujours eu pour moi beaucoup d’attraits,
Mais, blonde ou brune,
Jamais aucune
N’a dans mon cœur laissé de vifs regrets ;
Ce sexe a toujours su me plaire,
Mais, je vous le dis franchement,
J’aime avant tout le changement :
Voilà mon caractère.
quand on parle de mariage
J’en fais des éloges tout haut ;
Je dis à tous : je vous engage
À prendre une femme au plus tôt ;
Je les excite
Et fais bien vite
Un tableau du bonheur des époux :
Oui, cette ivresse
Dure sans cesse,
Leur dis-je alors, c’est le sort le plus doux !
Mais pour moi c’est une autre affaire,
Des maris évitant le bât,
Je veux toujours du célibat
Garder le caractère.
On dit que la femme est volage,
Qu’elle nous trompe trop souvent ;
Pour ne pas l’être il est plus sage
De prendre toujours le devant :
Quand d’une belle
L’amour chancelle
Je la préviens, je fais un autre choix ;
Et je crois même,
C’est mon système,
Qu’on peut aimer cinq ou six à la fois...
Mais c’est assez, il faut me taire,
Je crois avoir suffisamment,
Et peut-être un peu longuement,
Tracé mon caractère.
P. Dalcour.
***
SON CHAPEAU ET SON SCHALL
Chanson.
Air : De la nouvelle Nina.
Chapeau chéri,
De celle que j’admire
Cache les traits aux regards indiscrets ;
Dérobe-leur sa bouche et son sourire,
Et voile enfin ses pudiques attraits !
Chapeau chéri !...
Chapeau chéri !
Des yeux de mon amie,
À mes rivaux, cache l’éclat si doux ;
Il porterait en leur âme ravie
Le feu divin, et j’en serais jaloux,
Chapeau chéri !
Chapeau divin !
Tu parais à ma vue,
Ah ! quel bonheur tu portes en mes sens !
De Dieu c’est l’arc qui brille dans la nue
Pour annoncer aux hommes d’heureux temps
Chapeau divin !
Chapeau divin !
Je bénis la puissance
Qui t’a donné ta forme et ta couleur,
Ces verts rubans, emblème d’espérance,
Sont pour mon cœur présage de bonheur.
Chapeau divin !
Schall adoré !
De sa taille divine
Dérobe à tous les contours amoureux ;
Et ne permets qu’aucun regard devine
Les biens cachés sous tes plis gracieux
Schall adoré !
Valcour.
***
A UN AMI
qui m’accusait de plagiat.
Air : Amis, voici la riante semaine.
Quoi, mon ami doute de toi, ma muse,
Ah ! viens t’unir encore à mon ardeur
Pour lui prouver que jamais à la ruse
Je ne voudrais devoir le nom d’auteur.
À mériter ce nom je ne m’applique,
Il est bien vrai, je le dis sur ma foi ;
Mais seulement ici je revendique
Quelques couplets qui sont vraiment de moi.
St. Léon, quoi, toi dont l’âme
est si bonne,
Tu viens me dire avec un air malin,
Que ces couplets sont d’une autre personne
Et que j’ai fait un indigne larcin.
Pour me railler en vain ta voix rustique
Du dieu des vers invoquera la loi.
Mais revenons, ici, je revendique
Quelques couplets qui sont vraiment de moi.
Il est passé, St. Léon, ce bel âge
Où tu faisais notre admiration.
Avec ce temps a fui ton doux langage ;
Tu n’as gardé que ta présomption.
De ranimer ton ardeur poétique
St. Léon cesse, elle est morte chez toi.
Mais revenons, ici, je revendique
Quelques couplets qui sont vraiment de moi.
M. F. Liotau.
***
L’OMBRE D’EUGÈNE
B.
Je suis le malheureux, le suicide Eugène,
Qu’un reproche sanglant auprès de vous ramène ;
Amis, que j’aime encor, pourquoi calomnier
Celui pour qui vos cœurs devraient toujours prier ?
Pourquoi donc dites-vous, quand j’ai commis
le crime,
Que mon pied n’était point sur les bords d’un abyme,
Et que moi, jeune fou, me plaignant de mon sort,
J’ai cru que le bonheur se trouvait dans la mort ?...
Cependant, moi sur qui vous lancez l’anathème,
Ne vous ai-je pas dit en partant : Je vous aime !
Dans ma lettre d’adieu j’ai répété
vos noms,
Et ma voix a jeté pour vous les derniers sons !...
Que vous ai-je donc fait ?... —J’erre
dans la nuit sombre
Sans savoir en quel lieu Dieu placera mon ombre,
Sans savoir si le ciel me restera fermé
Toujours, et si de Dieu je ne suis plus aimé !
Quand m’arrive parfois une douce prière,
Quel cœur l’exhale, amis ?... c’est le cœur
d’une mère !
La pauvre femme, hélas ! ne fait point comme vous,
Pour son fils qui n’est plus, elle prie à genoux.
Ma mère n’a point dit, quand, frappé
de l’orage,
L’arbre déraciné ne donnait plus d’ombrage :
“Ses rameaux sont épars, que faire de son tronc ?...
“Livrons-le sans regret au fer du bûcheron !”
Oh ! soyez donc comme elle ?... afin que ma pauvre
âme
Puisse voir s’entrouvrir le ciel qu’elle réclame ;
Afin que le Très-Haut me dise : “Viens à moi...
“Ta faute est pardonnée, ils ont prié pour toi !”
Camille Thierry
***
TU M’AS DIT JE T’AIME
Romance.
O bonheur extrême !
Qu’ils sont beaux mes jours !
Tu m’as dit : Je t’aime !
Redis-le toujours,
Redis, Marguerite,
Ce mot enchanteur,
Le temps passe vite,
Volons au bonheur !
Long temps d’une amie
J’implorais l’amour,
Voulant pour la vie
Aimer à mon tour ;
Dans cette espérance
Je vécus joyeux,
Je t’aimai d’avance,
Et je fus heureux !
Mais redis encore,
De ta douce voix,
Ce mot que j’adore,
Si tendre à la fois ;
Redis-le sans cesse,
Pour mieux l’exprimer ;
C’est dans la jeunesse
Qu’il est doux d’aimer.
M. St. Pierre.
***
À MADEMOISELLE ***
Jeune fille, dis moi, quand Dieu sur cette terre
T’exila, près de lui, les anges en prière,
N’implorèrent-ils pas la révocation
Du triste et dur arrêt de ta proscription
Qui reléguait si loin leur compagnon trop chère ?
Ou ne serais-tu point, dis-moi, ma toute belle,
La payenne beauté que créa Praxitèle,
Vivante par miracle ? ou, serais-tu Péri ?
Ou bien, peut-être encore, une fraîche houri,
Par Mahomet promise au musulman fidèle ?
Délicieuse erreur pour une âme enivrée !
Je crois te voir encor rayonnante, parée,
Au bal où, près de toi, folâtraient les amours !...
Ah ! l’étoile qui brille aux soirs des plus beaux jours
Fut moins belle que toi, sylphe, démon ou fée !...
Une autre vision me trouble et m’exaspère,
Je te vois maintenant travestie en bergère :
Ma raison m’abandonne et mon âme est en feu !
Car sur ta jupe rose ou ton corsage bleu,
Partout on lit l’amour en brûlant caractère...
Où ne me conduit point mon ardeur de poète
Excité par l’amour ? mais ici je m’arrête,
Car, bercé au doux vent de la prétention,
Je sens que sur l’écueil de la présomption,
Ma verve s’échoûra triste, honteuse et muette...
Armand Lanusse.
***
À MADEMOISELLE CŒLINA
Air de Yelva.
Faible arbrisseau, battu par la tempête,
J’étais courbé sans appui, sans soutien ;
Le soleil luit, je relève la tête :
Car près du mal Dieu nous plaça le bien.
De noirs cyprès j’avais garni ma lyre,
Bravant alors les caprices du sort ;
Sans nuls désirs, sans regrets ni délire,
Las ! j’attendais l’approche de la mort.
Un jour j’avais une amante adorée,
Le sort la jette au rivage lointain ;
J’errais sans but... mais mon âme étonnée
En vous voyant crut la revoir soudain.
Elle était douce, agréable et jolie,
Vous possédez tous ces mêmes attraits ;
Je crois qu’Amour pour ranimer ma vie,
Pour m’enivrer, vous fit prendre ses traits.
Ses yeux d’azur, où brillait la tendresse,
En me parlant, m’annonçaient le bonheur ;
Et vos yeux bleus, pleins d’une douce ivresse,
Ont le parler qui sut toucher mon cœur.
De tous côtés je cherchais mon amie,
Je suis rêveur quand je ne vous vois pas ;
L’amour près d’elle avait doublé ma vie,
Et mon bonheur s’éloigne avec vos pas.
Sa voix était séduisante et flexible,
Si vous parlez, c’est elle que j’entends ;
Son âme était à la pitié sensible :
Du malheureux vous calmez les tourments.
Enfin, je vois cette bouche parfaite
Dont le sourire avait su m’enchaîner ;
N’êtes-vous pas celle que je regrette ?
Ne dois-je pas ainsi vous adorer ?
Valcour.
***
LE RÊVE
Essai littéraire.
Un matin de beau temps, l’Aurore aux doigts
de rose
Blanchissait l’horizon de sa clarté mi-close.
J’avais rêvé jardin, ruisseaux, prairie et fleurs :
D’aimables souvenirs font trêve à mes douleurs.
Je voyais au lever mille rayons de flamme,
Annonçant aux humains leur brillant oriflamme.
Là, le coq matinal invitait au réveil,
Là Phœbé pâlissait à l’aspect
du soleil.
L’air était pur et frais, une douce rosée
Présageait un beau ciel pour toute une journée.
Aux chants de mille oiseaux, à ceux du rossignol
J’osai mêler ma voix dans un air Espagnol.
Las ! je chantais Adèle et ma mère chérie,
Et tous les agréments de ma belle patrie.
Je fredonnais encor, mais j’aperçus le jour ;
Il me fallait quitter ces tendres chants d’amour.
Chacun à ses travaux se rend en diligence,
Le commerce est debout l’activité commence ;
Melval, le seul Melval, dans son lit moelleux
Du bel astre qui luit n’admire pas les feux.
Il rêve, il est en France, il est puissant et riche,
Les honneurs sur ses pas volent à pas de biche.
Les seigneurs, ses vassaux l’encensent en respect,
Le beau sexe est en guerre à son aimable aspect.
On érige en ce temps la France en république,
Il en est président, grâce à sa politique.
Il voit dans son palais nombre d’ambassadeurs
Venant à son réveil lui dire cent fadeurs.
Son rêve ambitieux à pas de géant marche :
Pour l’intérêt du peuple il fait mainte démarche.
La guerre est déclarée, il est partout vainqueur ;
Il a sauvé l’état... on le sacre empereur.
(Il sourit en rêvant) le songe continue :
Vive Melval ! son nom se mêle avec la nue.
Son règne est l’âge d’or. A bas la liberté !
Il rétablit alors la féodalité.
Des nobles assemblés il reçoit une adresse,
Dans son lit impérial ils mettent la princesse...
C’est l’Infante d’Espagne ; (Il sourit de nouveau)
Les deux Napoléon sont au même niveau.
Au comble de la joie aussitôt il s’éveille,
Et se retrouve encor ce qu’il était la veille.
M. Sylva.
***
PARLE TOUJOURS
Air : Combien j’ai douce souvenance.
Parle toujours, vierge enfantine ;
Comme une puissance divine,
Arrache de mon cœur saignant
L’épine,
Et tu verras le pauvre enfant
Riant.
Parle toujours et que l’orage,
Qui va flétrissant mon jeune âge,
S’arrête et porte loin de moi
Sa rage,
Dès que tu me diras : “à toi,
“Ma foi.”
Parle toujours, que ta parole,
Ange aux yeux noirs, ange créole,
Me fasse de ton cœur joyeux
L’idole,
Et que je vois enfin les cieux
Tout bleus !...
Parle toujours, j’aime à t’entendre,
Ta douce voix me fait comprendre
Que je dois encore au bonheur
Prétendre,
Car j’ai, pour chasser le malheur
Ton cœur.
Camille Thierry
***
BESOIN D’ÉCRIRE
À mon ami Nelson D.
Je puis de tout plaisir braver la douce ivresse ;
Je puis, sans murmurer, supporter le malheur.
Peu sensible à la voix d’une belle maîtresse,
Dans un calme parfait je puis garder mon cœur.
Mais il est un penchant qui, malgré moi, m’entraîne,
En vain voudrais-je, ami, le cacher avec soin ;
Pour rafraîchir le sang qui circule en ma veine,
D’écrire j’ai besoin.
L’instruction n’a pas, tu le sais, de
mon âme
Approché son flambeau. Naïvement un jour,
Je pris pour un jouet la pure et vive flamme
Qu’entretient Lamartine avec un saint amour.
À cette douce erreur mon esprit se cramponne,
Et je parcours encor un pénible chemin
Où, quand à chaque pas la force m’abandonne,
Nul ne me tend la main !...
Ce besoin me poursuit quand avec l’œil
du rêve
Je vois auprès de moi mes parents morts, heureux.
Il me poursuit encor quand tristement j’achève
D’adresser ma prière à l’Éternel
pour eux.
Dans de sombres forêts, sous la nef d’une église,
Au milieu d’une fête ou parmi des tombeaux,
Il agite mes sens comme en un lac la brise
Fait tressaillir les eaux.
Mais ne va point penser, ami, je t’en supplie,
Que cette passion dont je suis possédé
M’absorbe entièrement. Non, jamais je n’oublie
D’autres devoirs chéris qui m’ont toujours guidé.
Il est un sentiment bien vif, inaltérable,
Qui de mon cœur, sans cesse, occupe une moitié ;
Nul autre à celui-là n’est pour moi préférable ;
Son nom est l’amitié !...
Armand Lanusse
***
VERS ÉCRITS SUR L’ALBUM
DE MADEMOISELLE ***
L’étoile qui scintille en la voûte
des cieux,
De l’astre de la nuit la suave lumière
Sont moins douces à voir qu’un regard de tes yeux
Sous ta brune paupière.
P. Dalcour.
***
UN CONDAMNÉ À MORT
Mon Dieu ! qu’il est affreux le tourment que
j’endure !
Depuis six jours entiers dans ma prison obscure
Ce n’est que de toi seul que j’attends du secours,
Et même sans espoir je t’invoque toujours.
Vois mon corps affaibli par le fer qui l’accable,
Étendu tout meurtri dans ce lieu pitoyable !...
Vois mes yeux tout en pleurs que le sommeil a fui,
Chercher ici le ciel pour se faire un appui.
Mais, hélas ! c’est en vain, ma cellule de pierre
Ne recèle du jour qu’une avare lumière.
Oh ! si du condamné l’arrêt est trop certain
Bénis moi, mon Seigneur, bénis-moi de ta main.
Fais-moi donc oublier, si la mort me réclame,
Tous ces pensers affreux qui me torturent l’âme
Laisse-moi mériter, ô seigneur, ta bonté
Qui protège toujours la faible humanité.
M.F. Liotau.
***
À MADEMOISELLE C ***
Si je vous dis que je vous trouve belle ;
Vous répondez sur le champ : Vous mentez ;
Fais-je serment de vous être fidèle,
Sans m’écouter, C... vous fuyez.
Pourquoi toujours si grande défiance
En mes sermens, mes paroles d’amour ?
Point de bonheur ici sans confiance,
Non, sans la foi point il n’est de beau jour !
Vous dédaignez la douce sympathie,
Ce doux lien qui ranime le cœur.
Trouvez une âme à la nôtre assortie,
Ah ! croyez-moi, voilà le vrai bonheur !
Oui ! lorsque Dieu vous créait si jolie,
Il me fit don d’un cœur passionné,
Et dit, sans doute, en vous ouvrant la vie :
Voilà celui que je t’ai destiné.
Qui donc vous dit que je fus infidèle,
Que je trahis mes serments et ma foi ?
Que je trompai lâchement une belle
Qui sans regrets s’était donnée à moi ?
Ah ! je le vois, l’affreuse calomnie,
Pour m’accabler, me suscite un rival ;
Nommez-le-moi, qu’il m’arrache la vie,
Ou bien calmez ma souffrance et mon mal.
Valcour.
***
LE SUICIDE
La vie est un affreux rivage ;
On craint trop d’en quitter le bord :
Frêle esquif battu par l’orage,
Dois-je pâlir devant la mort ?
Je viens presser tes mains. Promise à la tempête,
Sous ses terribles coups doit se courber ma tête.
Éternité ! néant ! effroi des faibles cœurs,
Endormez aujourd’hui mes brûlantes douleurs !
Que ton sommeil est doux ! repose, tendre mère,
Demain révèlera l’effroyable mystère !
Moi par qui tes vieux jours devaient tant s’embellir,
Demain j’aurai vingt ans... demain je vais mourir !
Une larme pourtant de ma paupière tombe ;
Ce n’est pas l’effroi que me cause la tombe.
Qui peut troubler ainsi ma débile raison,
Si ce n’est le regret de mourir sans pardon ?
D’un sort trop rigoureux je deviens la victime !
Pitié pour moi, ma mère ! escorté de mon crime
J’apparaîtrai demain au tribunal de Dieu ;
Là ton fils va t’entendre ; adieu, ma mère, adieu !
La vie est un affreux rivage ;
On craint trop d’en quitter le bord :
Frêle esquif battu par l’orage,
Dois-je pâlir devant la mort ?
Camille Thierry
***
LE PORTRAIT
Air : Heureux habitans &&.
Accours à ma voix,
Quitte les bois
Et leur ombrage,
Muse des amans,
Daigne ici protéger mes chants.
Docile à tes lois,
Dans un poétique langage,
Je veux en ce jour
Peindre l’objet de mon amour.
Delphine a quinze ans,
Des yeux charmans,
Et sur sa bouche
Voltigent toujours
Et le sourire et les amours.
Par ses doux accens
Combien sa voix pénètre et touche !...
Les grâces, l’esprit
Brillent dans tout ce qu’elle dit.
Accours à ma voix,
Quitte les bois
Et leur ombrage,
Muse des amans,
Daigne ici protéger mes chants.
Docile à tes lois,
Dans un poétique langage,
Je veux en ce jour
Peindre l’objet de mon amour.
On dit et je crois
Qu’elle est parfois
Un peu coquette ;
C’est tout justement
Ce qui séduit mon cœur aimant ;
Puis-je faire choix
De la craintive violette,
Quand, dans un jardin,
La rose s’ouvre sous ma main ?...
Accours à ma voix,
Quitte les bois
Et leur ombrage,
Muse des amans,
Daigne ici protéger mes chants.
Docile à tes lois,
Dans un poétique langage,
J’ai peint en ce jour
Le tendre objet de mon amour.
Armand Lanusse.
***
JALOUSIE
De la jeune femme
Que poursuit ma flamme
Je me sens jaloux.
Désespoir extrême !
Un amant qu’elle aime
Est à ses genoux...
La divine espérance,
Rayon tombé des cieux,
N’a point sur ma souffrance
Promené ses doux feux.
Son nom que sans cesse
Mon âme caresse
D’un sentiment pur,
Ce nom,je le voile
Ainsi qu’une étoile
Par un temps obscur...
La divine espérance,
Rayon tombé des cieux,
N’a point sur ma souffrance
Promené ses doux feux.
Comme le nuage
Que chasse l’orage
Va fuir le bonheur.
Douleur incessante !
Nulle voix touchante
N’arrive à mon cœur...
La divine espérance,
Rayon tombé des cieux,
N’a point sur ma souffrance
Promené ses doux feux.
Rêves de la terre
Consolez ma mère
Qui m’aime toujours :
Adieu... je succombe...
Je vais à la tombe
Narrer mes amours...
La divine espérance,
Rayon tombé des cieux,
N’a point sur ma souffrance
Promené ses doux feux.
Camille Thierry
***
UNE MÈRE MOURANTE
Comme ton front est calme en ce moment, ma mère !
Dans tes yeux abattus brille un éclat nouveau,
Peut-être l’Éternel, sensible à ma prière,
De ses divines mains écarte le fléau
Qui te dispute la lumière.
Ah ! fais entendre encore à ton enfant qui t’aime,
Cette voix qui toujours fesait vibrer nos cœurs.
Parle, ma mère... hélas ! tu ne le peux... et
même
Tes yeux, vers moi tournés, semblent verser des pleurs !
Est-ce donc le moment suprême ?...
Ta voix avec effort, par la douleur brisée,
Murmure enfin le nom de notre rédempteur ;
La main sur son image en ce moment posée,
Tu demandes, sans doute, à ce divin Seigneur
Que ton âme soit délivrée !...
Des fils de Galien la science impuissante
Martyrise ton corps et ne le guérit pas.
Inutile secours ! ah ! ta main défaillante
Presse celle d’un fils qu’à chaque instant, hélas !
Tu nommes d’une voix mourante !...
O ciel ! je vois déjà se fermer ta paupière !
La mort inexorable a réclamé ses droits !
Tu ne seras bientôt qu’une froide poussière !
Adieu, ma mère, adieu pour la dernière fois...
Que la terre te soit légère !
Armand Lanusse.
***
HEURE DE DÉSENCHANTEMENT
À mon ami Constant R.
Je compte à peine un lustre après mes
vingt années,
Déjà de mon printemps les fleurs se sont fanées,
Déjà le scepticisme a desséché mon cœur,
Déjà je ne crois plus ici-bas au bonheur !
Le bonheur ! le bonheur ! ombre vaine, chimère,
Fantôme décevant qu’on poursuit sur la terre,
Qui se montre un instant et que l’on voit s’enfuir
Comme le feu follet sans le pouvoir saisir.
L’amant le cherche en vain près de celle
qu’il aime :
Il obtient un aveu, son délire est extrême !
Mais vient le lendemain il se dit malheureux ;
On l’écoute, on le croit... il a comblé ses
vœux.
Il goûte de l’amour l’inénarrable
ivresse,
Il jure à tout jamais d’adorer sa maîtresse
En disant : Le bonheur est dans la volupté !...
Mais bientôt le dégoût suit la satiété !
Celui-ci thésaurise, il amasse sans cesse,
Pour être heureux, dit-il, quand viendra la vieillesse ;
Sans toucher à son or demain il va mourir !
Ses cheveux ont blanchi, qu’attend-il pour jouir ?
Celui-là non moins fou prend le chemin contraire :
Des faux plaisirs du monde il fait sa seule affaire ;
Mais bientôt on le voit triste, désabusé,
Le front pâle, abattu, le cœur flétri, blasé !
Ainsi l’homme toujours poursuit une chimère,
Et la possession ne peut le satisfaire...
Ce qu’il aime aujourd’hui sera brisé demain,
Son esprit toujours flotte, inconstant, incertain.
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Le monde est un cloaque où règnent les
vices,
Où chacun bassement se livre à ses caprices,
Où le fort sous ses pieds tient le faible abattu,
Où l’homme imprudemment parle encor de vertu !
La vertu ! la vertu ! ce mot vain, mais sonore,
Que chacun ici-bas diversement décore,
N’est qu’un manteau qui sert à des vices honteux,
Car le plus hypocrite est le plus vertueux !...
Je compte à peine un lustre après mes
vingt années,
Déjà de mon printemps les fleurs se sont fanées,
Déjà le scepticisme a desséché mon cœur,
Déjà je ne crois plus ici-bas au bonheur !
P. Dalcour.
FIN.
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